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La Voisine IdГ©ale
Blake Pierce


Un thriller psychologique avec Jessie Hunt #9
«Dans ce chef-d’œuvre de suspense et de mystère, Blake Pierce a magnifiquement développé ses personnages en les dotant d’un versant psychologique si bien décrit que nous avons la sensation d’être à l’intérieur de leur esprit, de suivre leurs angoisses et de les encourager afin qu’ils réussissent. Plein de rebondissements, ce livre vous tiendra en haleine jusqu’à la dernière page.». –Books and Movie Reviews, Roberto Mattos (à propos de SANS LAISSER DE TRACES). LA VOISINE IDÉALE est le neuvième tome d’une nouvelle série de suspense psychologique par l’auteur à succès Blake Pierce qui commence par LA FEMME IDÉALE, best-seller n°1 disponible en téléchargement gratuit qui a obtenu presque 500 critiques à cinq étoiles… Dans un quartier riche et huppé de Manhattan Beach, une nouvelle voisine emménage dans une maison luxueuse, mais on l’y retrouve morte peu après. Cette affaire oblige Jessie à se rendre dans une autre ville balnéaire riche, ce qui réveille de mauvais souvenirs relatifs à son ex-mari et la force à combattre ses propres démons alors qu’elle essaie de dévoiler les mensonges de cette ville à la perfection trompeuse… Est-ce que ce meurtre est lié à une soirée réservée à l’élite? Ou existe-t-il un mobile encore plus abominable? Pire encore, le mari de Jessie n’est plus en prison et représente à nouveau une menace potentielle pour elle… Thriller psychologique palpitant aux personnages inoubliables et au suspense haletant, LA VOISINE IDÉALE est le tome 9 d’une nouvelle série fascinante qui vous tiendra éveillé tard la nuit..





Blake Pierce

LA VOISINE IDÉALE




la voisine idГ©ale




(roman de suspense psychologique avec Jessie Hunt, tome 9)




b l a k e p i e r c e



Blake Pierce

Blake Pierce est l’auteur de la série à succès mystère RILEY PAIGE, qui comprend dix-sept volumes (pour l’instant). Black Pierce est également l’auteur de la série mystère MACKENZIE WHITE, comprenant quatorze volumes (pour l’instant) ; de la série mystère AVERY BLACK, comprenant six volumes ; et de la série mystère KERI LOCKE, comprenant cinq volumes ; de la série mystère LES ORIGINES DE RILEY PAIGE, comprenant six volumes (pour l’instant), de la série mystère KATE WISE comprenant sept volumes (pour l’instant) et de la série de mystère et suspense psychologique CHLOE FINE, comprenant six volumes (pour l’instant) ; de la série de suspense psychologique JESSIE HUNT, comprenant sept volumes (pour l’instant), ; de la série de mystère et suspense psychologique LA FILLE AU PAIR, comprenant deux volumes (pour l’instant) ; et de la série de mystère ZOÉ PRIME, comprenant trois volumes (pour l’instant) ; de la nouvelle série de mystère ADÈLE SHARP et de la nouvelle série mystère VOYAGE EUROPÉEN.



Lecteur avide et admirateur de longue date des genres mystère et thriller, Blake aimerait connaître votre avis. N’hésitez pas à consulter son site www.blakepierceauthor.com afin d’en apprendre davantage et de rester en contact.








Copyright В© 2020 by Blake Pierce. Tous droits rГ©servГ©s. Sauf autorisation selon Copyright Act de 1976 des U.S.A., cette publication ne peut ГЄtre reproduite, distribuГ©e ou transmise par quelque moyen que ce soit, stockГ©e sur une base de donnГ©es ou stockage de donnГ©es sans permission prГ©alable de l'auteur. Cet ebook est destinГ© Г  un usage strictement personnel. Cet ebook ne peut ГЄtre vendu ou cГ©dГ© Г  des tiers. Vous souhaitez partager ce livre avec un tiers, nous vous remercions d'en acheter un exemplaire. Vous lisez ce livre sans l'avoir achetГ©, ce livre n'a pas Г©tГ© achetГ© pour votre propre utilisation, retournez-le et acheter votre propre exemplaire. Merci de respecter le dur labeur de cet auteur. Il s'agit d'une Е“uvre de fiction. Les noms, personnages, sociГ©tГ©s, organisations, lieux, Г©vГЁnements ou incidents sont issus de l'imagination de l'auteur et/ou utilisГ©s en tant que fiction. Toute ressemblance avec des personnes actuelles, vivantes ou dГ©cГ©dГ©es, serait purement fortuite. Photo de couverture Copyright GeorgeMayer sous licence Shutterstock.com.



LIVRES PAR BLAKE PIERCE




LES MYSTГ€RES DE ADГ€LE SHARP

LAISSГ€ POUR MORT (Volume 1)

CONDAMNГ€ ГЂ FUIR (Volume 2)

CONDAMNГ€ ГЂ SE CACHER (Volume 3)

CONDAMNÉ À TUER (Volume 4)


LA FILLE AU PAIR

PRESQUE DISPARUE (Livre 1)

PRESQUE PERDUE (Livre 2)

PRESQUE MORTE (Livre 3)


LES MYSTГ€RES DE ZOE PRIME

LE VISAGE DE LA MORT (Tome 1)

LE VISAGE DU MEURTRE (Tome 2)

LE VISAGE DE LA PEUR (Tome 3)

LE VISAGE DE LA FOLIE (Tome 4)


SÉRIE SUSPENSE PSYCHOLOGIQUE JESSIE HUNT

LA FEMME PARFAITE (Volume 1)

LE QUARTIER IDÉAL (Volume 2)

LA MAISON IDÉALE (Volume 3)

LE SOURIRE IDÉALE (Volume 4)

LE MENSONGE IDÉALE (Volume 5)

LE LOOK IDÉAL (Volume 6)

LA LIAISON IDÉALE (Volume 7)

L’ALIBI IDÉAL (Volume 8)

LA VOISINE IDÉALE (Volume 9)


SÉRIE SUSPENSE PSYCHOLOGIQUE CHLOE FINE

LA MAISON D’À CÔTÉ (Volume 1)

LE MENSONGE D’UN VOISIN (Volume 2)

VOIE SANS ISSUE (Volume 3)

LE VOISIN SILENCIEUX (Volume 4)

DE RETOUR ГЂ LA MAISON (Volume 5)

VITRES TEINTÉES (Volume 6)


SÉRIE MYSTÈRE KATE WISE

SI ELLE SAVAIT (Volume 1)

SI ELLE VOYAIT (Volume 2)

SI ELLE COURAIT (Volume 3)

SI ELLE SE CACHAIT (Volume 4)

SI ELLE S’ENFUYAIT (Volume 5)

SI ELLE CRAIGNAIT (Volume 6)

SI ELLE ENTENDAIT (Volume 7)


LES ORIGINES DE RILEY PAIGE

SOUS SURVEILLANCE (Tome 1)

ATTENDRE (Tome 2)

PIEGE MORTEL (Tome 3)

ESCAPADE MEURTRIERE (Tome 4)

LA TRAQUE (Tome 5)

SOUS HAUTE TENSION (Tome 6)


LES ENQUГЉTES DE RILEY PAIGE

SANS LAISSER DE TRACES (Tome 1)

RÉACTION EN CHAÎNE (Tome 2)

LA QUEUE ENTRE LES JAMBES (Tome 3)

LES PENDULES À L’HEURE (Tome 4)

QUI VA ГЂ LA CHASSE (Tome 5)

À VOTRE SANTÉ (Tome 6)

DE SAC ET DE CORDE (Tome 7)

UN PLAT QUI SE MANGE FROID (Tome 8)

SANS COUP FÉRIR (Tome 9)

ГЂ TOUT JAMAIS (Tome 10)

LE GRAIN DE SABLE (Tome 11)

LE TRAIN EN MARCHE (Tome 12)

PIÉGÉE (Tome 13)

LE RÉVEIL (Tome 14)

BANNI (Tome 15)

MANQUE (Tome 16)

CHOISI (Tome 17)


UNE NOUVELLE DE LA SÉRIE RILEY PAIGE


RÉSOLU




SÉRIE MYSTÈRE MACKENZIE WHITE

AVANT QU’IL NE TUE (Volume 1)

AVANT QU’IL NE VOIE (Volume 2)

AVANT QU’IL NE CONVOITE (Volume 3)

AVANT QU’IL NE PRENNE (Volume 4)

AVANT QU’IL N’AIT BESOIN (Volume 5)

AVANT QU’IL NE RESSENTE (Volume 6)

AVANT QU’IL NE PÈCHE (Volume 7)

AVANT QU’IL NE CHASSE (Volume 8)

AVANT QU’IL NE TRAQUE (Volume 9)

AVANT QU’IL NE LANGUISSE (Volume 10)

AVANT QU’IL NE FAILLISSE (Volume 11)

AVANT QU’IL NE JALOUSE (Volume 12)

AVANT QU’IL NE HARCÈLE (Volume 13)

AVANT QU’IL NE BLESSE (Volume 14)


LES ENQUÊTES D’AVERY BLACK

RAISON DE TUER (Tome 1)

RAISON DE COURIR (Tome2)

RAISON DE SE CACHER (Tome 3)

RAISON DE CRAINDRE (Tome 4)

RAISON DE SAUVER (Tome 5)

RAISON DE REDOUTER (Tome 6)


LES ENQUETES DE KERI LOCKE

UN MAUVAIS PRESSENTIMENT (Tome 1)

DE MAUVAIS AUGURE (Tome 2)

L’OMBRE DU MAL (Tome 3)

JEUX MACABRES (Tome 4)

LUEUR D’ESPOIR (Tome 5)




CHAPITRE PREMIER


Elle ne voulait pas ГЄtre trop curieuse.

Du moins, c’est ce que Priscilla Barton se disait en marchant sur le Strand de Manhattan Beach une bouteille de Sauvignon Blanc en main.

D’habitude, Prissy, comme elle préférait qu’on l’appelle, accueillait toutes les nouvelles voisines dans le quartier. Prissy et Garth, son mari, avaient séjourné dans leur manoir de Palm Springs pendant la plus grande partie de la semaine dernière et avaient dû manquer les nouveaux arrivants. Depuis que les Barton étaient revenus en ville, Prissy avait parfois vu une silhouette bouger derrière les stores toujours tirés du manoir voisin, mais elle n’avait jamais vu personne entrer ou sortir.

De toute façon, ces temps-ci, il était difficile de rester au courant de ce qui se passait. Dans cette ville cossue construite le long de la plage, une très grande proportion des voisins des Barton passaient l’essentiel de l’été à voyager. Donc, il était difficile de savoir qui était en vacances et encore plus de savoir qui avait loué une maison ou proposé la sienne en location.

Prissy savait que les propriétaires de la maison d’à côté étaient un agent de Hollywood et son épouse, qui gérait une sorte de fonds de bourses d’études pour les jeunes en difficulté. Cependant, ces gens n’étaient pas particulièrement amicaux et ils s’absentaient pendant de longues périodes de l’année. En fait, elle avait entendu une autre voisine dire qu’ils ne rentreraient pas avant le mois d’août. Comme cela faisait des semaines qu’elle ne les avait pas vus, la personne qu’elle avait vue devait être une locataire.

Quand Prissy approcha de la porte d’entrée, elle sentit un frisson de nervosité. Et si l’agent avait prêté sa maison à un client, peut-être à une célébrité ? Ce ne serait pas inhabituel. Des quantités de célébrités habitaient ici ou y venaient en vacances. Elle les repérait souvent parce qu’ils portaient des casquettes de base-ball, des lunettes de soleil et des vêtements élimés. C’était en quelque sorte leur uniforme.

De plus, ils levaient rarement les yeux. Si elle voyait une personne qui ressemblait presque à un SDF, se cachait le visage et refusait de croiser le regard d’autrui, il y avait de fortes chances pour que ce soit une célébrité. Bien sûr, elle avait appris à la dure que, parfois, c’était bien un SDF. Donc, elle les approchait avec plus de prudence qu’à l’époque où elle avait emménagé.

Pour Prissy, la richesse n’était pas une inconnue. Depuis les neuf dernières années, elle était mariée à Garth Barton, qui était un cadre extrêmement prospère chez Sharp Kimsey, une société pétrolière et gazière internationale. Jusqu’à l’année dernière, ils avaient habité dans le quartier historique de Hancock Park, pas loin de tous les gratte-ciel étincelants du centre de Los Angeles.

Cependant, Prissy, qui avait grandi dans la pauvreté et la sueur à Catahoula, en Louisiane, s’était lassée de la chaleur estivale étouffante du centre de Los Angeles et avait exigé qu’ils déménagent sur le bord de mer, où la température était habituellement inférieure d’entre huit et onze degrés. Cependant, habiter à la plage ne signifiait pas qu’on était bien accueilli par les habitants du coin. Prissy devait encore se faire accepter.

Elle aimait se dire que c’était parce que ces gens-là étaient des insulaires, des gens distants qui n’aimaient pas les nouveaux arrivants. En fait, ce n’était pas entièrement faux. Toutefois, en son for intérieur, elle savait que c’était beaucoup plus lié à sa personnalité parfois avide de reconnaissance sociale, celle qu’elle essayait de cacher mais qui semblait toujours refaire surface aux moments les plus inopportuns.

Elle ne pouvait pas s’en empêcher. Ce personnage agressif l’avait aidée à échapper au bayou par tous les moyens pour aller à l’université d’État de Louisiane, où elle avait rencontré ce garçon charmant de la Nouvelle-Orléans qui voulait devenir le maître de l’univers.

Après avoir obtenu ses diplômes et s’être marié, Garth avait décroché un emploi chez Sharp Kimsey et ils s’étaient installés à Metairie, près des bureaux de l’entreprise de la Nouvelle-Orléans. Deux ans plus tard, ils avaient été transférés à Houston puis, quatre ans après, à Los Angeles. Ils y étaient depuis trois ans et Prissy adorait ça.

Elle adorait le glamour de cette ville. Elle adorait sa maladresse décomplexée. Elle adorait les femmes trop maigres qui portaient leurs chiens trop petits dans des sacs à mains trop petits. Elle voulait en faire partie, même si ses tentatives lui donnaient un air un peu désespéré. C’était pour cela qu’elle se tenait actuellement à la porte de sa voisine avec une bouteille de vin et un grand sourire au visage : elle voulait participer à la vie locale.

Elle se retourna vers le Strand, sentier cimenté pour piétons souvent assez proche de beaucoup de maisons des villes de Manhattan Beach et de Hermosa Beach pour que les livreurs de journaux y livrent leurs quotidiens en les y jetant nonchalamment. L’endroit était étonnamment désert en cette fin d’après-midi, ce qui signifiait qu’il n’y avait personne pour juger la curiosité de Prissy.

Prissy se contempla dans le verre épais et chatoyant de la porte. Elle se trouva belle. À trente-et-un ans, elle avait encore le corps dynamique dont elle avait besoin, savait-elle, pour que Garth ne regarde pas ailleurs. Tout son yoga, son Pilates et ses séances d’entraînement énergiques à la plage avaient porté leurs fruits et lui avaient permis de rester musclée à tous les endroits qu’il fallait. Elle portait ses cheveux teints en blond autour des épaules et, même si la soirée commençait juste, elle prenait la chaleur comme prétexte pour porter un soutien-gorge de sport et un pantalon de yoga à taille haute. Elle était tout à fait sûre qu’elle ferait bonne impression, que la nouvelle résidente soit célèbre ou pas.

Prissy sonna à la porte mais n’entendit rien. La sonnette devait être en panne. Elle frappa à la porte et attendit. Pas de réponse. Elle réessaya et n’obtint pas plus de réponse qu’avant. Elle envisagea de renoncer à sa visite et se demandait s’il fallait qu’elle pose le vin sur le paillasson, mais elle n’avait pas emmené de carte et elle ne voulait pas laisser la bouteille sans que le destinataire sache qui lui avait offert ce cadeau. Donc, elle essaya une dernière fois. Si personne ne répondait, elle reviendrait plus tard. Elle frappa fort à la porte avec le côté mou du poing. À sa grande surprise, la porte s’ouvrit légèrement vers l’intérieur.

– Il y a quelqu’un ? appela-t-elle fort mais avec hésitation.

Il n’y eut aucune réponse. Déconcertée parce qu’elle venait de trouver une maison à plusieurs millions de dollars sans protection, elle poussa un peu plus la porte.

– Bonjour ! C’est votre voisine ! Appela-t-elle.

Dans le vestibule, elle chercha de quoi écrire de façon à dire au résident que c’était elle qui avait emmené le vin. Si elle laissait la bouteille à l’intérieur sans message, ce cadeau anonyme priverait sa démarche de tout sens. Comme elle ne voyait rien, elle ferma la porte derrière elle et entra plus loin dans la maison.

– Il y a quelqu’un ? Je jure que je ne suis pas venue dévaliser votre maison. J’ai apporté un cadeau de bienvenue. Je vais le laisser dans la cuisine.

Du hall immense, elle partit dans la direction qui, supposait-elle, devait être celle de la cuisine. Elle se sentait légèrement nerveuse. Après tout, elle pénétrait illégalement dans une propriété privée. S’il y avait quelqu’un à la maison et si cette personne n’avait pas répondu parce qu’elle était sous la douche ou avait des écouteurs aux oreilles, elle aurait le droit de réagir négativement en voyant un intrus se promener chez elle. Toutefois, Prissy trouvait que cette exploration illégale lui apportait aussi un frisson délicieux.

Elle atteignit la cuisine sans avoir rencontré qui que ce soit. Toutes les lumières de la maison étaient éteintes, ce qui lui donnait l’impression que le résident était parti et avait juste oublié de fermer à clé ou même de fermer correctement la porte. Elle plaça le vin sur l’îlot de la cuisine, trouva un stylo et écrivit un bref message sur un Post-it posé à côté. Enfin, elle colla le message sur le devant de la bouteille.

Légèrement déçue, elle commença à repartir dans le hall, mais la curiosité reprit le dessus. Quand elle atteignit l’entrée d’un grand salon, elle ne put s’empêcher d’y aller et de s’émerveiller de la beauté de l’endroit, qui semblait avoir été prélevé au Cap Cod et transporté directement ici.

Alors qu’elle envisageait de sortir son téléphone pour prendre quelques photos et voler des idées de design pour sa propre maison, elle entendit un bruissement dans le coin de la pièce. Quand elle regarda, elle vit que le son venait de derrière une grande plante. L’espace d’un instant, Prissy pensa qu’elle avait effrayé un animal domestique qui se cachait pour se protéger.

Cependant, soudain, en un mouvement brusque, un homme jaillit de derrière la plante et courut vers elle avec un air violemment intense au visage. Prissy sentit un accès inattendu de terreur s’emparer d’elle. Elle voulut crier, mais sa gorge venait de s’assécher complètement. L’homme lui fonçait droit dessus. Elle finit par s’arracher à sa stupéfaction quand elle entendit sa respiration lourde et rapide.

Elle courut dans le long hall, vers la porte d’entrée. Cependant, il était difficile de courir quand on portait des sandales de plage et, au bout de seulement quelques pas, elle perdit l’équilibre et tomba au sol. Elle se releva comme elle put, avec une sandale en moins. Le son de pas lourds qu’elle entendit derrière elle envoya une poussée d’adrénaline à son corps tout entier.

Alors qu’elle tendait la main vers le bouton de porte, elle sentit quelqu’un la pousser brutalement contre la porte. À cause de cette poussée et de son élan, elle se heurta violemment à la porte et retomba au sol en haletant. Avant d’avoir pu se relever, elle sentit qu’on lui passait quelque chose autour du cou.

Elle essaya de glisser les doigts dessous, mais elle n’arrivait pas à trouver de point d’appui et l’homme serrait fort tout en la tirant dans le hall, loin de la porte. Elle s’effondra sur lui. Ils tombèrent violemment au sol tous les deux, mais il ne lâcha pas son étreinte.

Déroutée par sa poussée d’adrénaline, son manque d’air suite à la chute et, maintenant, son étouffement, Prissy sentit hurler son corps tout entier, même s’il ne pouvait pas le faire à voix haute. Elle envoya un coup de coudes vers le bas en essayant de frapper son attaquant aux côtes assez longtemps pour qu’il relâche son étreinte, mais elle sentait qu’elle commençait à perdre conscience et savait que ses coups n’avaient pas grand effet.

Je ne peux pas mourir comme Г§aВ !

Quand cette pensée lui vint en tête, des points de lumière commencèrent à envahir sa vision. Cette pensée l’effraya tellement qu’elle effectua une dernière tentative désespérée pour se dégager mais, à ce stade, il était beaucoup trop tard.




CHAPITRE DEUX


Jessie Hunt se leva de la table de la cuisine sans grimacer de façon visible.

Elle récupéra les assiettes de tout le monde et se rendit à l’évier pour les rincer. Comme c’était elle qui, dans le groupe, faisait le moins bien la cuisine, elle avait échappé à la préparation du dîner, mais cela signifiait qu’elle était le lave-vaisselle officiel. En temps normal, c’était un échange honnête mais, depuis ses dernières blessures, elle avait du mal à se pencher sur l’évier et, quand elle mettait les assiettes dans le lave-vaisselle, elle pleurait souvent en silence.

Elle sentait encore une piqûre à l’endroit où la peau de son dos avait été brûlée trois semaines auparavant, mais elle réussit à ne pas le montrer. Ni Ryan, son petit-ami, ni sa demi-sœur, Hannah, ne semblèrent remarquer qu’elle souffrait encore énormément.

Elle avait subi ces brûlures en arrachant une femme à un homme perturbé qui l’avait enlevée et relâchée intentionnellement quelques jours plus tard avec pour seule intention de revenir chez elle pour la tuer. Jessie et la femme avaient tout juste réussi à échapper à l’incendie de la maison. Depuis, Jessie avait été mise en congé maladie par la police de Los Angeles. D’abord, elle avait été confinée à l’hôpital et, maintenant, elle l’était dans son propre appartement.

Elle savait que ce n’était pas une fatalité. Elle avait des quantités d’antalgiques. Le docteur lui avait ordonné de ne pas baisser la posologie pendant un mois, mais elle avait commencé à se sevrer de ses médicaments une semaine auparavant, en partie parce qu’elle avait peur d’en devenir dépendante et en partie pour une autre raison. Elle avait besoin de rester alerte.

Un jour après avoir été brûlée, pendant qu’elle se remettait à l’hôpital, son ex-mari, Kyle Voss, avait été libéré de prison. C’était le même ex-mari que celui qui avait été incarcéré pour le meurtre de sa maîtresse et pour avoir essayé de faire accuser Jessie pour ce crime, après quoi, quand elle avait découvert la supercherie, il avait tenté de l’assassiner.

Et pourtant, d’une façon ou d’une autre, le procureur de l’affaire de Kyle avait récemment avoué qu’il s’était comporté de manière injuste en trafiquant des preuves. Bien sûr, Jessie savait comment cela s’était passé. En prison, Kyle était devenu ami avec un gang associé à l’infâme cartel de la drogue Monzon. Par la suite, des membres du cartel avaient menacé la famille du procureur. Jessie en était sûre. Jack Dolan, son ami et agent du FBI, en était tout aussi certain. Malheureusement, ils ne pouvaient pas le prouver.

Donc, pendant que Jessie se remettait de ses brûlures dans un lit d’hôpital, un juge avait relâché Kyle Voss et lui avait même présenté ses excuses au tribunal. Ce jour-là, Kyle avait été aussi charmant que d’habitude. Il avait organisé une conférence de presse où il avait admis être « tout sauf parfait » et où il avait dit qu’il comptait recommencer à zéro, notamment en créant une fondation pour financer des organisations caritatives qui aidaient les prisonniers victimes de fausses accusations à se réinsérer dans la société.

Ce que Kyle n’avait pas admis, que Jessie savait mais qu’elle ne pouvait pas prouver, c’était que, pendant qu’il était en prison, il avait lancé une campagne de destruction de la vie de Jessie et de sa réputation. Cela avait commencé par de petites choses, comme demander à un membre du cartel de crever les pneus de sa voiture. Après, ils étaient passés à la vitesse supérieure en plaçant des médicaments anti-psychotiques dans la voiture de Ryan, en appelant anonymement les services sociaux pour déclarer que Jessie maltraitait Hannah, qu’elle avait en garde, et en piratant son compte de médias sociaux pour y placer des diatribes racistes et anti-sémites. Même s’ils avaient démasqué cette dernière manœuvre, elle avait encore des conséquences durables sur les relations professionnelles de Jessie et sur la perception de sa personne par le public.

Le point culminant avait été atteint quand une composition florale anonyme avait été envoyée à la chambre d’hôpital de Jessie avec un message qui disait que celui qui l’offrait la reverrait bientôt. Comme Kyle avait déjà essayé de la tuer et avait dit à un informateur infiltré en prison qu’il voulait « l’éventrer comme une truie et se baigner dans son sang chaud », Jessie avait décidé qu’il valait la peine de prendre un peu moins d’antalgiques si cela l’aidait à rester vigilante.

Heureusement pour elle, son petit copain, qui avait récemment emménagé chez elle et Hannah, était un agent de la police de Los Angeles décoré qui semblait capable d’affronter un taureau en furie dans le cadre d’une compétition de lutte. Ryan Hernandez, le principal enquêteur de la SSH, la Section Spéciale Homicide de la police de Los Angeles, mesurait un mètre quatre-vingt-deux et pesait quatre-vingt-dix kilos sans graisse. Jessie avait parfois l’impression de sortir avec son garde du corps personnel, même si ce n’était pas le cas maintenant.

– Ça va ? demanda-t-elle quand il alla s’asseoir sur le sofa et s’y allongea en posant ses pieds nus sur l’accoudoir.

– Très bien, dit-il.

Alors, il dГ©cida de la taquiner.

– Tu leur mets assez de liquide vaisselle, à ces plats ?

– Tu te rendras vite compte de la quantité de liquide vaisselle que j’utilise si tu ne retires pas tes pieds puants de mon sofa.

Il obГ©it sans dire un mot, mais lui tira la langue. Elle essaya de ne pas sourire.

En plus d’avoir cet homme fort comme compagnie, elle se sentait aussi rassurée parce que son appartement était en grande partie un bunker. Il avait été conçu de la sorte quand elle avait été pourchassée par son propre père biologique, un tueur en série du nom de Xander Thurman, qui avait décidé qu’elle marcherait dans les pas de son père ou en deviendrait la prochaine victime.

Donc, elle avait emménagé à un endroit où des policiers à la retraite servaient de vigiles, où le parking était fermé et surveillé 24 heures sur 24 et 7 heures sur 7 et où des caméras de sécurité avaient été installées dans tous les halls et dans tous les espaces publics, mais ce n’était que le début.

Elle était un des quelques résidents, tous dotés de professions très en vue, qui habitaient au treizième étage, l’étage secret dont presque aucun des résidents de l’immeuble ne connaissait l’existence. On ne pouvait y accéder que par les escaliers venant des douzième et quatorzième étages et dont les portes étaient cachées derrière des placards de service.

En plus de tout ça, Jessie avait installé son propre système de sécurité élaboré pour l’appartement, comprenant plusieurs serrures et alarmes. Le seul avantage d’avoir été l’épouse d’un conseiller financier assassin mais riche et accompli, c’était que, quand elle avait divorcé de lui, elle était devenue non seulement indépendante mais également riche elle-même.

En dépit de toutes ces précautions, elle savait que Kyle, un sociopathe qui l’avait trompée pendant dix ans, était rusé et impitoyable. Il avait presque réussi à tuer sans se faire arrêter. Il avait réussi à échapper à une peine de prison prolongée par la négociation. Elle n’allait pas sous-estimer sa capacité à contourner ses mesures de sécurité.

– Tu es prête pour le dessert ? lui demanda Hannah de la table, remmenant Jessie au moment présent pendant qu’elle rinçait les derniers plats. J’ai préparé des tartelettes aux poires.

Jessie n’avait plus faim mais ne voulait pas fragiliser encore plus l’ambiance positive de cette soirée.

– Je suis pleine à craquer, mais je pourrais essayer une petite tartelette, dit-elle en obtenant un sourire satisfait de la part de sa demi-sœur.

Ces jours-ci, tous les sourires qu’elle pouvait obtenir étaient autant de victoires. Même si, dans son appartement, tout paraissait agréable, il y avait incontestablement une tension tout juste palpable. Quand Ryan avait envisagé de vivre avec Jessie et de lui en parler, il avait d’abord demandé la permission à Hannah. Même s’il avait ainsi fait preuve de considération, Jessie sentait que Hannah avait consenti plus par politesse que par enthousiasme sincère.

Il était clair que Hannah voulait que Jessie soit heureuse, mais il était tout aussi évident qu’elle n’adorait pas l’idée de partager un appartement à deux chambres avec un couple amoureux, particulièrement parce que ces deux-là étaient tous deux membres de la police.

Alors que Jessie rГ©flГ©chissait Г  ce problГЁme, Hannah approcha, sortit les tartelettes du four et, sans un mot, posa la plus petite, qui Г©tait aussi un peu brГ»lГ©e, sur le plan de travail mouillГ© Г  cГґtГ© de Jessie.

– Bon appétit, marmonna-t-elle.

– Merci, dit Jessie en décidant de mettre l’accent sur le cadeau plutôt que sur la manière dont il était offert.

Parfois, la légère rancœur de Hannah s’exprimait sous la forme de remarques adolescentes passives-agressives ou, dans ce cas, de tartelettes aux poires brûlées. Parfois, elle se manifestait par un silence renfrogné. Ce n’était pas constant, mais cela se produisait assez souvent pour être visible. Ses yeux verts se faisaient ombrageux, son grand corps prenait une posture voûtée et ses cheveux blond roux se retrouvaient soudain attachés en une queue de cheval austère et dédaigneuse.

Les circonstances n’étaient pas non plus idéales pour Jessie et Ryan. Aucun des deux ne sentait qu’il pouvait se laisser aller sur le plan amoureux quand une fille de dix-sept ans était présente dans une chambre située juste de l’autre côté du salon. Cela faisait moins d’un mois qu’ils vivaient ensemble comme cela, mais il devenait déjà clair qu’une conversation sur l’avenir de leur vie commune allait s’avérer inévitable.

– Avec toute la sécurité que tu as ici, nous pourrions peut-être investir dans l’isolation sonore de la chambre.

C’était le seul trait d’humour que Ryan avait formulé sur ce sujet. Ensuite, il y avait l’autre question, celle qui les concernait tous. Hannah Dorsey était-elle stable ? Jessie avait récemment décidé d’assurer la garde de la demi-sœur dont elle n’avait découvert l’existence que lorsque son père tueur en série avait assassiné les parents adoptifs de Hannah. Ensuite, un autre tueur du nom de Bolton Crutchfield avait massacré ses parents adoptifs, kidnappé Hannah et tenté de l’endoctriner pour qu’elle devienne comme lui. Cela exigeait beaucoup de résilience pour qui que ce soit, surtout pour une jeune lycéenne.

– Fais attention avec ce couteau, je te prie, dit-elle quand Hannah s’en servit imprudemment pour détacher les tartelettes restantes du papier cuisson qui couvrait le plateau.

– Merci, maman, marmonna Hannah à voix basse tout en continuant d’utiliser la lame en acier comme brosse à récurer.

Jessie soupira sans répondre. Voir sa demi-sœur tenir un long couteau-scie était déconcertant. Alors qu’elle essayait de lui créer un environnement sûr, Jessie craignait qu’un résidu de pulsions homicides n’ait été implanté dans cette fille. Avait-elle secrètement acquis une soif de sang après avoir découvert la puissance cruelle que la violence offrait à ceux qui s’y adonnaient ? Est-ce qu’un gène d’instinct meurtrier avait d’une façon ou d’une autre été transmis du père à la fille ? Enfin, si tel était le cas, est-ce que Jessie l’avait aussi ?

C’était une question sur laquelle elle avait ruminé pendant des mois. Elle l’avait soumise à la thérapeute, la docteure Janice Lemmon, qui avait aussi examiné Hannah. C’était une question qu’elle avait même posée à son mentor, le célèbre profileur criminel Garland Moses, mais personne ne pouvait fournir de conclusion définitive sur la nature de Hannah, tout comme Jessie semblait incapable de fournir une réponse certaine sur son propre caractère.

La plupart du temps, Hannah ressemblait à une adolescente ordinaire avec toutes ses humeurs et réactions hormonales prévisibles mais, vu les traumatismes qu’elle avait subis dans les derniers mois, parfois, même la « normalité » paraissait louche.

Jessie secoua la tête en essayant de se débarrasser de ces pensées. Pour l’instant, les choses se passaient assez bien. Sa sœur avait fait le dessert, même si elle lui avait donné la tartelette brûlée. Tout le monde était gentil. Jessie était supposée repartir exécuter des tâches administratives la semaine prochaine et espérait reprendre ses fonctions complètes de profileuse criminelle la semaine d’après. Les choses progressaient.

Certes, c’était frustrant de regarder Ryan partir tous les matins pour aller au Poste Central de la Police de Los Angeles, où ils travaillaient tous les deux, mais elle le rejoindrait bientôt. Alors, elle pourrait retrouver le monde qu’elle aimait, où elle parvenait à attraper les tueurs en plongeant dans leur esprit.

Pendant une demi-seconde, la nature troublante de son amour pour ce monde l’obséda, mais elle digéra vite cette inquiétude avec une bouchée de l’excellente tartelette aux poires de Hannah. Même légèrement brûlée, elle était délicieuse. Alors qu’ils finissaient tous le dessert, le téléphone portable de Ryan sonna. Même avant qu’il ne regarde l’écran, tout le monde avait compris de quoi il s’agissait. À cette heure-là, c’était presque certainement une affaire.

– Allô ? répondit Ryan.

Il écouta silencieusement pendant presque une minute. Jessie distinguait à peine la voix qui venait de l’autre bout de la ligne mais, vu son élocution rauque et nonchalante, elle était sûre de savoir qui c’était.

– Garland ? demanda-t-elle quand Ryan raccrocha.

– Ouais, dit-il en hochant la tête et en se levant pour commencer à rassembler ses affaires. Il s’occupe d’une affaire à Manhattan Beach et il pense qu’elle correspond au profil de la SSH. Il veut que je l’aide.

– Manhattan Beach ? insista Jessie. C’est un peu hors de notre juridiction, n’est-ce pas ?

– Apparemment, le mari de la victime est un cadre important de l’industrie pétrolière. Il a entendu parler de Garland et a demandé qu’il s’occupe de l’affaire. Comme le mari de la victime est censé être un gros con, les policiers du coin acceptent volontiers de laisser la police de Los Angeles s’occuper de cette affaire.

– L’ambiance a l’air sympa, dit Jessie.

– C’est le plus étrange, dit Ryan en s’adressant non pas à Jessie mais à Hannah en se mettant sa veste de sport et son arme avec sa ceinture. La plupart des gens le diraient sur un ton sarcastique, mais ta sœur le pense vraiment. Elle est jalouse de ne pas pouvoir me suivre. Ça la ronge.

Il avait raison de plus d’un point de vue.




CHAPITRE TROIS


Garland Moses se sentait coupable.

Il avait conduit vite pour essayer d’arriver à la scène de crime aussi rapidement que possible. En passant sur Manhattan Beach Boulevard pour aller vers l’océan, il avait franchi le sommet d’une colline juste au moment où les derniers rayons du soleil couchant diffusaient une lueur orange rosâtre sur la ville de bord de mer et, au-delà, sur l’Océan Pacifique.

Dans ce paysage, quelque chose avait détendu l’anxiété qui lui envahissait la poitrine. La plupart des gens voyaient en lui le profileur vétéran bourru qui affichait rarement la moindre émotion et encore moins une chose comme de l’émerveillement mais, seul dans sa voiture, il était libre de contempler bouche bée les surfeurs dont la silhouette se découpait sur fond de soleil cramoisi et de bateaux à voile. Cependant, alors même qu’il s’émerveillait devant la beauté de cette scène façon carte postale, la culpabilité avait commencé à monter en lui pour lui dire qu’il n’était pas ici pour jouir de la vue mais pour travailler.

Pourtant, quand il parcourut la dernière partie de la route avant qu’elle ne finisse sur le quai, il jeta un coup d’œil jaloux aux foules de gens qui parcouraient les rues en tenue estivale. Alors qu’il était presque 20 heures, il portait encore son uniforme officieux, un manteau de sport gris usé et une chemise élégante blanc cassé terne. En temps normal, il y aurait aussi ajouté un sweat mais, par cette journée de chaleur, cela aurait été trop, même pour lui. Toutefois, il portait quand même son pantalon bleu marine délavé traditionnel et ses mocassins marron gravement éraflés. Sa tenue était comme un costume conçu pour que les suspects et les témoins se détendent face à ce gentleman âgé en apparence distrait qui leur posait des questions personnelles.

Il tourna à droite dans Ocean Drive, à juste un pâté de maisons de la plage. C’était plus une ruelle qu’une rue et il dut se faufiler entre des voitures mal garées pour rejoindre l’adresse qu’on lui avait fournie. Quand il arriva, il se gara dans une zone de chargement, mit son insigne de la police de Los Angeles sur le tableau de bord et descendit.

Il fut immédiatement submergé par le mélange de brise rafraîchissante et d’odeur salée de l’air, ce qui le changeait beaucoup de ses lieux de fréquentation habituels du centre-ville, qui sentaient plutôt les gaz d’échappement et l’asphalte. Marchant rapidement, il arriva au sentier que les gens du coin appelaient le Strand. Un demi-pâté de maisons vers le nord, il vit les rubans de la police et plusieurs agents qui empêchaient les piétons d’accéder à une partie du Strand.

Quand il partit dans cette direction, ses instincts d’enquêteur prirent le dessus sur son appréciation des environs. Il vit quand même les gens jouer au volley sur le sable après leur journée de travail et les mères faire leur promenade du soir avec des poussettes, mais il examina aussi les maisons qui se trouvaient près de la scène de crime.

Elles faisaient toutes face à la plage et leurs portes n’étaient qu’à quelques mètres des passants. Très peu avaient une cour et presque aucune n’avait de portail de protection. Dans ce quartier, les habitants semblaient mettre l’accent sur l’accès facile à la plage plutôt que sur les mesures de sécurité.

Il se sentait légèrement hors de son élément, dans cet environnement. Même s’il habitait dans le centre de Los Angeles, il devait admettre, non sans embarras, qu’il se rendait rarement à la plage parce qu’il passait le plus clair de son temps aux alentours du poste du centre-ville où il travaillait.

Dans cette partie de la ville, tout propriétaire ou locataire de logement avait une mesure de sécurité, que ce soit un portail, des barres aux fenêtres, un système de sécurité ou tout cela. Son amie et collègue profileuse, Jessie Hunt, avait tout cela, avec des caméras, des vigiles sur site, un garage surveillé et plus de serrures à ses portes que d’interrupteurs pour la lumière. Bien sûr, elle avait ses raisons pour cela. Pourtant, Garland n’était pas habitué au laisser-faire de ce quartier de bord de mer, mais il faudrait qu’il s’y fasse. On ne lui avait pas vraiment donné le choix.

En temps normal, Garland Moses choisissait ses affaires. Après tout, pendant des décennies, il avait été un célèbre profileur du FBI dans la section des Sciences Comportementales. Comme il avait été veuf jeune et n’avait pas eu d’enfants, il avait travaillé sans relâche. Quand il avait finalement déménagé en Californie du Sud pour sa retraite, on l’avait persuadé de travailler pour la police de Los Angeles en tant que consultant, mais seulement à la condition qu’il puisse choisir ses affaires.

Pourtant, tel n’était pas le cas aujourd’hui. Dans ce cas, le capitaine du Poste Central, Roy Decker, l’avait supplié de faire une exception. Le mari de la victime, un cadre riche de l’industrie pétrolière et gazière du nom de Garth Barton, avait donné plus de 400 000 dollars au syndicat de la police au cours des trois dernières années. Même si le couple vivait maintenant à Manhattan Beach, qui avait ses propres services de police, Barton travaillait dans le centre-ville et il connaissait tout à fait la réputation de Garland Moses, le profileur légendaire.

– Barton insiste pour que vous travailliez sur cette affaire, lui avait dit Decker au téléphone. Il suggère qu’il pourrait cesser de financer le syndicat si vous refusez. J’aimerais que vous me fassiez cette faveur personnelle, Garland.

Comme c’était la première faveur que le capitaine lui ait jamais demandée, il était tenté de la lui accorder. Quand il avait accepté, Decker avait continué à parler vite, comme s’il avait craint que Garland ne change d’avis.

– Je promets que la police de Manhattan Beach vous obéira, à vous et à votre équipe préférée, lui avait assuré le capitaine. En fait, on dirait que cette perspective les enthousiasme. Apparemment, Barton a la réputation d’être un véritable emmerdeur et ils sont plus que contents de laisser quelqu’un d’autre traiter avec lui, particulièrement quand il est sous le coup de l’émotion, comme il l’est maintenant d’après eux.

En approchant de la zone délimitée du Strand, Garland oublia les problèmes politiques et se concentra à nouveau sur le crime lui-même. Il ne savait que peu de choses. Priscilla Barton avait été trouvée morte dans la maison d’une voisine et on soupçonnait que c’était un meurtre. Garland arriva à la scène de crime et regarda autour de lui pour voir si Ryan Hernandez, l’inspecteur de la SSH qu’il avait demandé comme collaborateur pour cette affaire, était arrivé.

Ne le voyant pas, il approcha de l’agent de la police de Manhattan Beach le plus proche et lui montra son badge.

– Garland Moses, consultant en profilage criminel pour la police de Los Angeles. Qui est le chef, ici ?

L’agent, dont le badge nominatif indiquait Timms et qui semblait avoir tout juste vingt-deux ans, déglutit avec difficulté.

– C’est le sergent Breem qui s’occupe de tout jusqu’à ce que l’inspecteur arrive, dit-il d’une voix tremblante d’anxiété. Il est à l’intérieur en ce moment.

– Puis-je aller le voir ? demanda Garland.

– Oui, monsieur. Il est dans le hall. C’est là que se trouve le corps.

– Merci, dit Garland.

Il partit dans cette direction puis s’arrêta et se retourna.

– Connaissiez-vous les Barton, agent Timms ?

– Pas vraiment, dit Timms. Je n’ai jamais interagi avec eux en personne, mais je les connaissais par réputation.

– C’est-à-dire ?

– M. Barton appelait souvent pour se plaindre de ses voisins, des problèmes de bruit, de ce genre de choses.

– Et Mme Barton ? insista Garland en gribouillant frénétiquement sur son minuscule bloc-notes.

– Je ne veux pas dire de mal d’une personne décédée, dit Timms avec hésitation.

– Vous ne faites rien de la sorte. Vous partagez seulement des informations et c’est grâce aux informations que nous attraperons son assassin.

Timms hocha la tГЄte, apparemment convaincu.

– OK, dit-il en baissant la voix jusqu’à un murmure. Elle avait la réputation d’être un peu obsédée par les célébrités, de façon inoffensive mais agaçante. À quelques reprises, des habitants célèbres des lieux se sont plaints qu’elle avait l’habitude de les suivre, sinon même d’essayer de s’en faire des amis, de s’asseoir avec eux pour boire un verre. Ce n’était rien de grave. Ce n’est pas comme si elle s’était introduite chez les gens pour les attendre au lit.

– Est-ce que nous en sommes sûrs ? demanda Garland d’un air sceptique. Ce n’est pas sa maison, n’est-ce pas ?

Timms rougit.

– Je n’y avais pas pensé comme ça, dit-il, visiblement embarrassé.

– Comme quoi ? demanda quelqu’un derrière eux.

Garland se retourna et vit l’inspecteur Ryan Hernandez qui lui souriait.

– Peu importe, dit-il. Comment allez-vous, inspecteur ?

– Comme on m’a arraché aux plaisirs de la maison et de la compagnie de celle que j’aime, disons que ça va. Et vous-même ?

– En fait, j’apprécie beaucoup ce changement de décor, avoua Garland. Je n’ai presque pas envie d’entrer.

– Et pourtant … dit Ryan à contrecœur.

– … nous le devons, finit Garland en agitant un bras pour indiquer que l’inspecteur devait passer en premier.

Quand Hernandez passa devant lui pour se diriger vers la porte d’entrée, Garland s’émerveilla de son jeune collègue. Même au début de sa trentaine, Garland n’avait jamais eu l’air autant en forme que Ryan Hernandez. Bien sûr, il n’avait pas non plus son charme.

De temps à autre, il avait taquiné Jessie en lui disant que, si l’on associait sa taille qui approchait celle d’une Amazone, ses yeux vert profond, ses cheveux bruns ondulés et ses pommettes bien découpées aux cheveux noirs courts, aux yeux marron et aux pectoraux bien sculptés de son petit copain, cela garantirait que leurs enfants à naître auraient un jour ou l’autre la place qu’ils méritaient sur le Mont Olympe. Cela faisait presque toujours rougir Jessie. Garland décida de ne pas essayer la même plaisanterie avec Hernandez.

Ils passèrent à l’intérieur, où le sergent Breem, un homme de la quarantaine dégingandé et très bronzé que Garland soupçonnait d’être surfeur, attendait avec deux autres agents en uniforme et une équipe de scène de crime. Un médecin légiste assistant prenait des photos du corps. Le mari était absent.

Garland inspecta le vestibule et observa tous les détails en prenant des notes sur son bloc-notes. Ce ne fut que lorsqu’il fut sûr de s’être fait son impression de la pièce qu’il regarda la victime. Priscilla Barton était allongée sur le dos avec ce qui semblait être un bas enroulé autour du cou.

Dans ses yeux écarquillés, on voyait des veines éclatées, ce qui indiquait qu’elle avait dû être étranglée. Elle portait un soutien-gorge de sport rouge, un pantalon de yoga et une seule sandale. L’autre gisait, solitaire, plus loin dans le hall. Il n’y avait aucune rigidité cadavérique ; elle n’était pas encore gonflée et sa peau n’était que légèrement décolorée. Tout cela suggérait que sa mort était très récente et ne remontait probablement pas à plus de deux heures.

– Sergent Breem, dit Hernandez en tendant une main pour le saluer, je suis l’inspecteur Ryan Hernandez de la police de Los Angeles. Voici notre profileur, Garland Moses. Nous apprécions que vous nous laissiez participer à l’enquête.

– Vous plaisantez ? dit Breem en riant presque. Nous sommes contents de rester en retrait. Je ne veux pas être cruel, mais Barton n’est pas facile à supporter. Depuis qu’il a emménagé ici avec son épouse, il ne nous a apporté que des ennuis. Nous vous donnerons tout le soutien dont vous aurez besoin mais, quand il s’agira de traiter avec ce gars, nous vous laisserons formellement prendre le relais.

– Où est M. Barton ? demanda Hernandez.

– Il est chez lui, juste à côté. Si vous écoutez bien, vous l’entendrez probablement crier sur mon agent en ce moment.

– Dans ce cas, nous attendrons un peu pour lui parler, dit Hernandez en se tournant vers le médecin légiste, un homme assez jeune du nom de Pugh. Qu’avez-vous jusque-là ?

– La température corporelle indique qu’elle est morte il y a moins de trois heures. Les marques de liens et l’hémorragie sous-conjonctivale suggèrent fortement la strangulation. Il y a quelques bleus sur les bras et la poitrine et cela indique qu’il y a peut-être eu une lutte avant la mort. Aucun signe d’agression sexuelle jusque-là.

– Rien d’autre ? demanda Hernandez.

Le sergent Breem intervint.

– Nous avons trouvé une bouteille de vin avec un message dans la cuisine. On dirait qu’elle avait apporté un cadeau pour accueillir les nouveaux arrivants. Le message suggérait que la victime pensait qu’elle avait une nouvelle voisine, mais le couple qui possède cette maison n’a pas déménagé. Ils sont en vacances mais ne louent pas leur maison.

– C’est bizarre, dit Hernandez.

Breem exprima son approbation d’un hochement de tête.

– Nous pensons que quelqu’un était peut-être en train de dévaliser la maison quand elle est arrivée. Ou alors, quelqu’un l’a vue entrer et l’a suivie.

Hernandez se tourna vers Garland, qui ne formula aucun commentaire sur cette thГ©orie. Au lieu de parler, il se pencha prГЁs du corps et examina le bas qui Г©tait encore lГ©gГЁrement enroulГ© autour du cou de Mme Barton.

C’était un choix bizarre pour tuer quelqu’un. Garland avait vu des quantités de strangulations. Dans de nombreux cas, le meurtrier avait utilisé des fils métalliques, des rallonges électriques et même ses mains nues, mais Garland ne se souvenait pas avoir vu qui que ce soit se faire étouffer jusqu’à la mort avec un bas.

Ce bas a l’air de coûter cher.

Il leva les yeux. Il allait demander si quelqu’un connaissait la marque mais, quand il constata que le vestibule ne contenait que des hommes, il se dit qu’il faudrait qu’il cherche lui-même plus tard.

– Est-ce que quelqu’un peut mettre ça dans un sac ? demanda-t-il.

Un technicien de scГЁne de crime arriva pour le faire. Il prit le bas avec une pince et le mit dans un sac Г  Г©lГ©ments de preuve.

– Je crains que nous ne puissions en tirer aucune empreinte digitale, marmonna Breem. Cet endroit a été complètement nettoyé. De grandes sections de la maison ne comportent aucune empreinte, même pas celles des propriétaires. Le meurtrier a assidûment nettoyé les lieux et on dirait qu’il a porté des gents tout le temps.

– Serait-il possible de trouver des morceaux de peau ou de cheveux sur le bas ? demanda Garland au technicien.

– Peut-être, mais je vois des morceaux de tissu dessus, ce qui suggère aussi que le coupable portait peut-être des gants. Nous vous tiendrons au courant.

Garland laissa Hernandez et la police de Manhattan Beach se concentrer sur les détails de la scène de crime et erra partout dans la maison en essayant de comprendre ce qui avait pu se passer. Il n’y avait de signe de lutte nulle part ailleurs, ce qui le poussait à soupçonner que la théorie de Breem (on l’avait suivie à l’intérieur, ou alors, elle avait surpris un voleur) avait ses mérites. Il savait qu’elle avait au moins réussi à entrer dans la cuisine avant qu’il n’arrive quelque chose, mais il ne savait pas à quels autres endroits de la maison elle avait pu aller.

– Garland ! entendit-il Hernandez appeler.

Il repartit dans le hall, oГ№ tout le monde le regardait avec impatience.

– Oui ?

– Garth Barton veut te parler, dit Hernandez. Il insiste pour le faire et il paraît qu’il s’impatiente.

– Allons-y, dit Garland avec un soupir. Pas question de faire attendre le VIP. Où était-il au moment des faits, d’ailleurs ?

– Il a dit qu’il était en train de rentrer en voiture et qu’il était en conférence téléphonique tout le temps, leur dit Breem. Il dit qu’il lui faut entre soixante-dix et quatre-vingts minutes par jour pour rentrer du travail. Nous sommes en cours de confirmation mais, s’il est honnête avec nous, il aura un alibi pour le moment de la mort.

– Si c’est vrai, c’est dommage, marmonna Garland dans sa barbe.

– Pourquoi ? demanda Breem.

– Parce que, si ce n’est pas le mari, nous avons un vrai défi à relever : le trafic est intense par ici, les maisons sont peu sécurisées et les preuves physiques sont minimes.

Alors, incapable de cacher son cynisme fatiguГ©, il ajoutaВ :

– Je n’envie pas les gens qui devront résoudre cette affaire.




CHAPITRE QUATRE


Le lendemain matin, quand Kyle Voss se rГ©veilla, il bondit hors du lit.

Il se mit à terre et fit immédiatement cent pompes. Alors, il fit une planche de trois minutes suivie de cinquante sauts de grenouille. Baigné de sueur et tout joyeux après seulement quinze minutes d’éveil, il se rendit à la salle de bains et se déshabilla.

Quand il se contempla dans le miroir, il ne put s’empêcher d’admirer son physique. Ces deux années de prison avaient peut-être interrompu sa vie professionnelle, mais elles avaient fait des miracles pour son corps. Il était plus solide et en meilleure forme que depuis ses jours de football au lycée. À un mètre quatre-vingt-sept et avec un poids constant de 97 kilos, il pensait honnêtement qu’il pourrait être garde du corps pour la ligue nationale de football. Ses cheveux blonds étaient encore assez courts à cause de la boule à zéro de ses jours de prison. Ses yeux bleus étaient clairs.

Il bondit dans la douche, qu’il régla au maximum du froid. Il s’assura de se nettoyer chaque centimètre carré de peau, refusant de se presser et refusant de frissonner. Quand il eut terminé, il s’essuya avec la serviette et se mit son costume préféré. C’était un jour important et il voulait avoir l’air beau.

Il avait fait profil bas depuis sa sortie de prison afin de préparer ses projets sans trop attirer l’attention sur sa personne, mais tout cela allait changer aujourd’hui. C’était le début de sa résurrection publique. Dans le cadre de son plan, c’était crucial et il fallait que ça se passe bien. Il sentit un étrange frisson dans son estomac et réussit finalement à comprendre que c’était de la nervosité.

Il avait un emploi du temps chargé pour la journée. Même si le juge l’avait gracié, Kyle devait encore aller retrouver un agent de probation deux fois par semaine. Ça ne le gênait pas. Il fallait qu’il soit excellent pendant ces séances, car cela lui rapporterait beaucoup quand on remettrait inévitablement sa bonne foi en doute par la suite.

Après ce rendez-vous, il avait une réunion à sa fondation récemment créée, le PIC, le Projet pour les Injustement Condamnés. Il répartissait des fonds parmi des organisations caritatives qui fournissaient une aide juridique aux prisonniers qui luttaient contre des accusations injustes. Ce projet permettait aussi à Kyle d’effectuer quelques tours de passe-passe comptables grâce auxquels il finirait par aider des amis qu’il avait rencontrés derrière les barreaux.

AprГЁs cela, il avait une interview sur la fondation avec une station de nouvelles locales. Il avait consultГ© un expert en relations avec les mГ©dias qui lui avait appris comment ne parler que de la fondation sans se laisser entraГ®ner par des questions dГ©sagrГ©ables sur la raison de sa condamnation originale, toute cette histoire avec Jessie. Cela serait sa premiГЁre tentative de traversГ©e de ces eaux houleuses.

Quand l’interview de la station de nouvelles serait finie, il aurait un rendez-vous d’une autre sorte. Ce serait un entretien d’embauche avec une entreprise de gestion de fortune basée à Rancho Cucamonga, pas loin de sa maison de ville de Claremont. Il avait déménagé dans cette charmante ville universitaire, à cinquante kilomètres du centre-ville de Los Angeles, pour que personne ne puisse l’accuser de manière crédible d’essayer d’intimider son ex-épouse. Ainsi, si l’entretien se passait bien (il avait été assuré par ses amis de Monterrey qu’il se passerait bien), il en retirait une légitimité qui serait cruciale pour ce qu’il avait prévu de faire dans les semaines et les mois suivants.

Il avait besoin de la crédibilité qui allait avec un poste dans une firme bien réputée. De plus, même s’il n’avait pas envie de l’admettre, il avait également besoin de l’argent. Il avait beaucoup gagné avant toute cette histoire de meurtre, mais le divorce avec Jessie et ses frais d’avocat avaient épuisé une bonne partie de ses ressources. Il avait encore accès à des fonds qu’il avait habilement fait disparaître pendant sa vie de couple, mais cela ne suffirait pas à faire tourner la fondation, à lui payer le style de vie qu’il voulait et à financer la destruction totale du monde de son ex-épouse. Il lui fallait tout simplement un plus grand revenu.

Alors qu’il finissait son petit déjeuner, on sonna à la porte. Il vérifia la caméra de sécurité avec son téléphone et vit que c’était son agent de probation. Il ne fut pas si étonné que cela. On l’avait averti que les visites à domicile imprévues étaient monnaie courante et qu’il devait s’y préparer.

– Bonjour, M. Salazar, dit-il en ouvrant la porte. Je croyais que nous étions censés nous retrouver à votre bureau à neuf heures. Étiez-vous impatient à ce point ?

– Vous savez que les visites à domicile imprévues sont autorisées, n’est-ce pas, M. Voss ? demanda sèchement Salazar.

– Bien sûr, dit Kyle comme s’il s’était attendu à sa venue. Je me disais que, comme j’étais venu vous voir si souvent, vous me retourneriez la faveur un jour ou l’autre. J’étais en train de terminer mon petit déjeuner. Puis-je vous proposer quelque chose ? Du café ? Mes œufs brouillés au fromage ne sont pas si mauvais.

– Non, merci. Inutile d’y passer trop de temps. Je voulais juste voir ce que vous aviez prévu pour la semaine afin de m’assurer que vous remplissiez vos obligations fixées par la cour.

– Bien sûr, dit chaleureusement Kyle en se retournant et en repartant dans la maison. Mon calendrier est dans la cuisine.

Salazar le suivit prudemment. Kyle continua à se comporter comme s’ils étaient juste de vieux copains qui échangeaient des nouvelles. Il versa à l’homme une tasse de café et la posa sur la table en face de lui. Malgré son refus initial, Salazar sirota son café.

Kyle présenta à Salazar les projets qu’il avait évalués quelques moments auparavant, en omettant quelques détails, bien sûr. En quelques minutes, il vit que Salazar était satisfait mais continua quand même à décrire en détail tous ses rendez-vous de la semaine. Son but était d’en dire assez pour que Salazar ne ressente plus le besoin de lui rendre visite chez lui dans un avenir proche.

La tactique fonctionna. Moins de dix minutes plus tard, l’agent de probation s’en allait en emportant une tasse de café et une part d’œufs au fromage dans un emballage en plastique, ayant changé d’avis sur ces derniers.

– À vendredi, rappela-t-il à Kyle. À neuf heures pile dans mon bureau.

– Ce sera un plaisir.

Cinq minutes plus tard, Kyle sortit lui aussi. Quand il monta dans sa voiture et fit signe aux agents du FBI garés de l’autre côté de la rue, où ils restaient par intermittence depuis qu’il avait emménagé, il se répéta intérieurement son emploi du temps. Il savait que, avec toutes ses réunions et tous ses entretiens, il aurait du mal à organiser la destruction métaphorique et physique de Jessie Hunt, mais il était certain qu’il pourrait le faire. Après tout, il avait déjà orchestré la quasi-destruction de sa carrière alors qu’il était derrière les barreaux.

Avec l’aide impressionnante du cartel de la drogue basé à Monterrey, il avait coordonné toute sorte de cauchemars pour Jessie. Il avait commencé modestement en demandant aux soldats du cartel de crever les pneus de sa voiture. Après, il était passé au stade supérieur en faisant placer des médicaments dans la voiture de Ryan et en effectuant des appels anonymes aux services sociaux pour suggérer que Jessie avait maltraité sa sœur. Enfin, cerise sur le gâteau, il avait fait pirater les comptes de médias sociaux de Jessie, où il avait fait publier des diatribes racistes. Cette dernière attaque avait encore des effets, car, ainsi, son ex-épouse était persona non grata chez beaucoup d’habitants de Los Angeles, même après avoir été exonérée dans les faits.

Le cartel s’assurait qu’il y ait encore des manifestations devant le poste où elle travaillait. Il était prévu de recouvrir sa voiture de graffitis bientôt. Ensuite, le meilleur pourrait commencer.

D’abord, il y aurait l’élimination de tous ses proches. Ensuite, quand elle serait au plus vulnérable sur le plan émotionnel, il viendrait s’en prendre à elle et il lui ferait ce qu’il rêvait de lui faire depuis des années. D’abord, il avait prévu de l’éventrer et de regarder son visage se remplir d’horreur quand il découperait ses organes et les brûlerait devant elle mais, depuis, il avait trouvé une idée encore pire pour elle. Il allait lui faire payer l’addition, à cette salope.




CHAPITRE CINQ


Jessie grignotait nerveusement son muffin.

Assise dans le café-restaurant Nickel Diner de South Main Street, où elle attendait que Garland Moses arrive, elle avait l’impression étrange que quelqu’un trichait. D’habitude, elle travaillait avec Ryan, mais Ryan avait enquêté sur une affaire avec Garland la veille au soir à Manhattan Beach. Est-ce que leur front commun était une violation personnelle d’une sorte ou d’une autre ? Est-ce que leur petit déjeuner partagé de ce matin en était une ? Elle savait que, logiquement, c’était ridicule, et pourtant, cette sensation la taraudait.

Finalement, Garland arriva sans se presser à 8 h 30, une bonne demi-heure après leur heure de rendez-vous. Ses cheveux blancs paraissaient encore plus sauvages et encore plus décoiffés que d’habitude. Ses lunettes à double foyer semblaient être en danger de tomber du bout de son nez. Quand il se rendit au box que Jessie savait qu’il préférait, il ne leva même pas le regard.

Elle attira l’attention de la serveuse et lui fit signe de lui apporter du café pour Garland, qui avait l’air épuisé. Après avoir travaillé si tard, elle l’aurait été, elle aussi, et elle avait trente ans, pas soixante-et-onze.

– La nuit a été dure ? demanda-t-elle quand il se glissa sur son siège.

Il sourit tristement.

– Je me suis couché bien plus tard que d’habitude, admit-il, comme ton petit copain le sait forcément. J’aurais vraiment besoin de caf—

Il s’arrêta de parler quand on plaça une tasse devant lui et qu’on la remplit.

– Vous avez lu dans mes pensées, dit-il à la serveuse.

Alors, la serveuse dГ©signa Jessie.

– En fait, c’est elle qui y a pensé.

– C’est du profilage de grande qualité, dit-il en goûtant prudemment le café.

– Ce n’est pas du profilage, Garland. Savoir que tu voudras boire du café quand tu entreras ici, c’est comme savoir que le soleil se lève à l’est.

– Merci quand même, dit-il.

– Comment est-ce que ça s’est passé hier soir ? demanda-t-elle.

– Hernandez ne te l’a pas dit ?

– Quand je me suis levée, il s’en allait. Il ne voulait pas me réveiller. Il me dit tout le temps que je dois me reposer et tout ça.

– Tu devrais peut-être l’écouter, suggéra Garland d’un ton protecteur. Tu te remets quand même de plusieurs brûlures et d’une commotion cérébrale. Quant à ton os de l’entêtement, il en a pris un coup, lui aussi.

– Est-ce que tu essaies d’être drôle, Garland ? demanda-t-elle. Parce que, si c’est ça, tu devrais absolument en rester à ton travail de jour qui, maintenant, semble aussi être un travail de nuit.

– N’essaie pas de changer de sujet, répliqua Garland. Je sais que tu essaies de reprendre le travail avant la date conseillée par le docteur. Tu ne devrais pas. Attends que ton corps soit prêt.

– Comment pourrais-tu savoir si j’essaie de reprendre le travail en avance ? demanda-t-elle.

– C’est facile, répondit-il avec un sourire espiègle. À chaque fois que tu te penches ou que tu te retournes, tu fais involontairement une petite grimace, ce qui m’indique que tu prends une dose d’antalgiques inférieure à celle qui a été prescrite. De plus, tu te penches tout le temps en avant comme une écolière qui craint que la bonne sœur ne te gifle la main parce que tu t’es laissée aller à ton bureau.

– Quel rapport avec le reste ?

– Tu crains que ton dos ne heurte le fond du box parce qu’il est encore sensible. Donc, tu as adopté la posture la plus guindée que j’aie jamais vue en dehors des romans d’E.M. Forster.

Elle secoua la tête, partagée entre l’agacement et l’étonnement.

– Tu devrais presque en faire ton métier.

– La flatterie, ça mène à tout, dit-il en prenant une autre gorgée de café. Cela dit, je parle sérieusement. Tu devrais lever le pied aussi longtemps que possible. De plus, si tu te fais oublier par le public, cela pourrait laisser le temps au déferlement de haine qui a suivi ces messages racistes de diminuer un peu.

– Les messages que je n’ai pas écrits ? lui rappela Jessie.

– Cela ne compte plus, dit-il d’un ton résigné. Même si tu prouves amplement que ton compte a été piraté, certaines personnes voudront encore imaginer le pire à ton sujet.

– Donc, tu penses que je devrais faire profil bas jusqu’à ce que les gens oublient qu’ils me prennent pour une raciste ? dit Jessie d’un ton sceptique.

Garland soupira mais refusa de mordre à l’hameçon.

– C’est peut-être ce que ton amie Kat fait, suggéra-t-il.

L’amie de Jessie, la détective privée Katherine « Kat » Gentry, était en train de bénéficier d’un bilan de santé neurologique complet à la Mayo Clinic de Phoenix. Elle avait été avec Jessie pendant que cette dernière sauvait la femme kidnappée de la maison en feu. Elles avaient toutes deux subi plusieurs commotions cérébrales quand une bombe avait explosé dans cette maison.

Pour Kat, qui avait été Ranger de l’armée américaine en Afghanistan et ignorait fièrement ses cicatrices, les internes comme les externes, c’était au moins la sixième fois. Elle avait finalement consenti à passer un bilan quand les maux de tête et les sifflements dans les oreilles n’avaient pas diminué au bout de deux semaines complètes. Elle devait encore rester cinq jours en Arizona, puis elle reviendrait ce week-end.

– Kat est une vétérane de l’armée qui souffre de troubles de stress post-traumatique, de troubles liés à des engins explosifs improvisés et probablement d’encéphalopathie traumatique chronique, lui dit Jessie. Moi, j’ai juste quelques brûlures.

Garland lui sourit d’un air paternel.

– Quels mots barbares ! Certes, ton amie doit affronter des problèmes potentiellement graves, mais toi aussi. Tu as subi plusieurs commotions cérébrales et tu as plus de cicatrices, physiques et émotionnelles, que la plupart des soldats. Combien de ces hommes ont été torturés par leur propre père biologique après l’avoir regardé assassiner leur mère ?

– Probablement quelques-uns, répondit sèchement Jessie.

– Et combien ont dû affronter ce même père dans un combat jusqu’à la mort ? Et plus tard tuer son protégé tueur en série ? Et affronter un ex-mari sociopathe et assassin ? Et …

– Je comprends, Garland, interrompit Jessie.

Il resta assis en silence pendant un moment.

– Je dis seulement que tu dois prendre soin de toi. Si tu ne veux pas le faire pour toi-même, pense à ta petite sœur et à ce bel inspecteur que tu aimes. Si tu ne ralentis pas ton activité, ces relations vont inévitablement en souffrir. Si tu fais attention à toi, cela t’aide à faire attention à eux.

Elle hocha la tête et prit une autre petite bouchée du muffin qui ne l’intéressait plus.

– J’ai remarqué que tu avais changé de sujet, toi aussi, signala-t-elle.

– Quoi ?

– L’affaire ? L’as-tu résolue ?

– Ça ne devrait pas tarder, dit-il avec ironie.

– Comptes-tu me dire quoi que ce soit sur cette affaire ? demanda-t-elle, agacée.

– On a trouvé une femme morte dans la maison d’une voisine, dit-il d’un ton neutre. Nous avons exclu le mari de la liste des suspects. Ça m’a déçu parce que c’est un homme vraiment déplaisant. J’aurais adoré le coincer pour ce crime mais, au moins, comme ça, je n’aurai plus besoin d’interagir avec lui. Il me faisait penser à un ulcère sur pattes doué de la parole.

– Quoi d’autre ? demanda-t-elle.

Il la regarda avec une expression bizarre, comme s’il voulait lui demander quelque chose mais ne trouvait pas comment aborder au mieux le sujet.

– Te considères-tu comme une gravure de mode ? demanda-t-il finalement.

La question prit Jessie au dГ©pourvu.

– Je sais m’habiller, dit-elle, mais je ne suis pas abonnée à Vogue. Pourquoi ?

Il commença à parler, puis s’arrêta et prit une gorgée de café.

– C’est tout ? demanda-t-elle. Tu ne pourrais pas expliquer ?

– Je ne crois pas, lui dit-il. J’en ai déjà dit plus que je n’aurais dû. Je crains que, si j’en dis plus, tu ne sois tentée d’en demander encore plus. Tu es supposée récupérer et je ne veux pas t’en empêcher. Si tu veux vraiment les détails, demande-les à Hernandez.

– Beurk, dit Jessie. C’était la seule raison pour laquelle je t’avais demandé de me retrouver ici.

– Et moi qui croyais que tu voulais juste jouir de ma compagnie ! Ça fait très mal.

Garland avait l’air blessé, mais Jessie voyait un sourire commencer à se former aux coins de sa bouche.

– Tu es très déplaisant, dit-elle. Tu le sais, n’est-ce pas ?

Il prit une autre gorgГ©e de cafГ© et se permit de sourire entiГЁrement, cette fois-ci.

– Voulais-tu parler de sujets non liés à l’affaire ? demanda-t-il. J’ai l’impression que tu te retiens de dire quelque chose.

– Qu’est-ce que je me retiens de dire ? répondit-elle d’un ton plus acerbe que prévu.

– Cela fait longtemps que nous n’avons pas parlé de Hannah. Comment va-t-elle ?

Jessie expira profondГ©ment.

– Parfois, elle est adorable. Parfois, morose. Parfois, désopilante. Parfois, vache. Parfois, muette. C’est un cauchemar ordinaire.

– Mais sans meurtres, n’est-ce pas ? dit Garland.

– Quoi ?

– La demi-sœur que tu crains de voir se transformer en tueuse en série sociopathe débutante n’a encore assassiné personne, n’est-ce pas ?

– Pas que je sache, répondit Jessie.

– Dans ce cas, si elle est morose, par rapport à ça, ce n’est pas si grave, fit-il remarquer.

Jessie haussa les Г©paules pour signifier son approbation.

– Vu comme ça, d’accord.

– Tu devrais peut-être apprécier ta bonne fortune, dit-il doucement. Vu la vie que tu mènes, tout pourrait être largement pire.

Jessie ne pouvait pas le nier. Elle allait lui demander ce qu’il pensait sur un autre sujet quand son téléphone sonna. Elle baissa les yeux. C’était son ami agent du FBI Jack Dolan, qui avait demandé à ses hommes de surveiller son ex-mari, Kyle.

– Il faut que je réponde, dit-elle.

– Pas de problème, dit Garland en posant un billet de cinq dollars sur la table. De toute façon, il faut que j’aille au bureau. Je manque probablement à ton petit copain.

– Tu veux que je t’emmène ?

– Non. Tu as ton appel. En outre, tu sais que j’aime marcher.

– OK, dit-elle en répondant au téléphone. Bonjour, Dolan.

– Hé, Jessie, ajouta Garland à voix basse en se levant.

– Une seconde, Dolan, dit-elle dans le téléphone avant de lever les yeux vers l’homme bourru qui se tenait devant elle. Oui, Garland ?

– Souviens-toi seulement que tu es en charge de ta vie, pas de celle de Decker, de Hannah, de Hernandez ou d’un quelconque tueur en série. Parfois, il est difficile de voir les choses comme ça, mais tu as toujours le choix.

– Merci, Confucius, dit-elle en lui envoyant un clin d’œil. On en reparlera, c’est d’accord. Il faut que je réponde. C’est à propos de Kyle.

Garland sourit, baissa lГ©gГЁrement la tГЄte et partit. Sa touffe de cheveux blancs mal coiffГ©s disparut au loin quand il se mГЄla nonchalamment Г  la foule des personnes qui se ruaient vers leur destination.

– Je suis là, dit Jessie. Qu’as-tu pour moi, Jack ?

– De mauvaises nouvelles. C’est à propos de ton ex-mari.




CHAPITRE SIX


– Attends un peu, dit Jessie tout en sentant le découragement l’envahir. Il faut que je trouve un endroit tranquille pour parler.

Jessie regretta presque d’attendre. Les trois minutes qu’il lui fallut pour payer sa consommation, quitter le café-restaurant et entrer dans sa voiture lui parurent interminables. Dolan était un cynique endurci dont l’attitude ne s’adoucissait que lors de ses séances de surf de début de matinée. Il n’était pas connu pour aimer les exagérations. S’il disait que la situation était grave, elle était en général encore pire que ça. Jessie se dit qu’elle allait peut-être vomir le quart de muffin qu’elle avait mangé.

– Raconte-moi tout, dit-elle brusquement quand elle reprit la conversation.

– En bref, nous n’avons rien.

– Cela fait plus de trois semaines, protesta-t-elle. Tu me dis qu’il a été un citoyen modèle pendant tout ce temps-là ?

– Ouais, dit Dolan, et c’est louche. Il n’a même pas brûlé un feu rouge. Bien sûr, il sait parfaitement bien qu’on le surveille. Quand il passe devant nos agents, il leur fait signe de la main.

– Ils n’essaient pas de rester discrets ?

– Au début, ils l’ont fait, mais il est très malin, comme tu le sais. Comme il a repéré notre camionnette dès la première semaine, nous avons pensé qu’il serait inutile de s’en servir après ça. Depuis, nous employons des berlines banalisées. En fait, mes patrons pensent que je gaspille des ressources. Ils ne tarderont pas à me réduire à un seul agent. Si nous ne trouvons rien avant la fin de la semaine, je ne serais pas surpris qu’ils abandonnent complètement la surveillance. Ce jour-là, nous aurons passé un mois sans trouver quoi que ce soit.

– Mais c’est exactement ce qu’il attend, insista Jessie. Il se retient de faire quoi que ce soit d’important tant que vous n’avez pas retiré vos agents.

Jessie sentait une anxiГ©tГ© familiГЁre remonter Г  la surface. Elle se souvenait que son ex-mari savait trГЁs bien se prГ©senter comme un homme charmant afin de dissimuler la laideur qui se trouvait derriГЁre.

– Tu le sais et je le sais, dit Dolan, visiblement agacé, mais cela ne signifie pas grand-chose pour les huiles. Ils veulent des résultats et nous n’en avons pas à leur montrer. Il faut que tu comprennes leur point de vue.

– Que veux-tu dire ? demanda Jessie.

– Souviens-toi que, théoriquement, ton ex-mari a été relâché à cause de malversations effectuées par un professionnel de la justice. Ils ne veulent pas être accusés de s’acharner sur un homme qui a déjà été maltraité par le système. C’est un problème politique. Le fait qu’il soit un assassin passe au second plan. Donc, dans l’état actuel des choses, nous avons dû procéder discrètement. Bientôt, nous n’aurons plus aucun espoir de le prendre la main dans le sac à cause de la mauvaise presse qui risquera de nous tomber dessus. Nous pourrions atteindre ce point de non-retour aujourd’hui.

– Pourquoi ? demanda Jessie alors qu’elle devinait déjà que Kyle allait entamer une opération de séduction du public.

– Parce que, plus tard dans la matinée, il doit participer à une interview à une station de nouvelles, dit Dolan, confirmant son intuition. L’interview est supposée parler de sa fondation, mais je ne serais pas surpris s’il évoquait sa situation personnelle actuelle. Donc, mon responsable craint qu’il ne parle de la surveillance que nous menons.

Jessie se rendit compte qu’elle transpirait, même si elle ne savait pas si c’était à cause de ce que disait Dolan ou de la montée rapide de la température matinale. Elle alluma le contact et monta l’air conditionné.

– Et les soupçons que nous avons sur son implication avec le cartel Monzon ? demanda-t-elle. S’ils arrêtent la surveillance, ne craignent-ils pas qu’il puisse contacter le cartel sans qu’ils le sachent ?

– Nous avons d’autres moyens potentiels de le surveiller. Nous avons l’autorisation judiciaire de placer un tracker sur sa voiture, d’installer des micros et des caméras dans sa maison et même de surveiller ses appels mais, comme un juge vient de réprimander un procureur pour en avoir trop fait —

– Un procureur qui a sûrement été menacé par le cartel, interrompit-elle.

– Nous ne pouvons pas le prouver, répliqua Dolan. Mes patrons craignent que le juge qui a autorisé les micros n’ait peur de prolonger la surveillance s’il pense que cela pourrait entacher sa réputation. Nous sommes dans une situation délicate.

Jessie secoua la tête, alors même que personne ne pouvait la voir. Au bout de moins d’un mois, Kyle était déjà en train de manipuler le système à ses propres fins. Elle sentit monter la fureur en elle quand elle imagina ce qu’il pourrait faire avec un autre mois de liberté.

– C’est exactement ce qu’il voulait, tu sais, signala Jessie. Il sait que vous le surveillez, mais il ne s’en est pas encore plaint. Il garde cette possibilité comme une épée de Damoclès, qu’il suspend au-dessus de vos têtes pour s’en servir quand il en aura le plus besoin. Il reste clean tant que ça peut lui servir. S’il peut vous pousser à arrêter la surveillance sans se plaindre à la presse, il évitera de se plaindre. Il conserve cet atout. Cela fait partie de sa stratégie.

Elle entendit Dolan pousser un soupir peinГ© dans le tГ©lГ©phone.

– Tu prêches un converti, Jessie, lui assura-t-il. Je suis avec toi. Ce que je me demande, c’est si nous ne devrions pas arrêter la surveillance maintenant avant qu’il ne formule des accusations. Alors, nous pourrons déclarer en toute légitimité que nous ne le surveillons pas, que nous ne le harcelons pas. Je peux rédiger un message pour la presse en leur disant que nous demandons seulement à des agents de le surveiller de temps en temps. S’il donne l’impression de s’effrayer pour un rien, sa crédibilité en souffrira. Il sait jouer à ce jeu-là ? Il n’est pas le seul.

– Non, mais il est meilleur que la plupart des gens que je connais. Ne le sous-estimez pas.

– Aucun risque, promit Dolan. Écoute, nous savons que Kyle est sorti de prison parce qu’il a convaincu le cartel qu’il valait la peine qu’on lui consacre du temps et quelques efforts. Nous savons qu’ils ont même accepté de l’aider à détruire ta vie. Un jour ou l’autre, il va devoir leur renvoyer l’ascenseur. Bientôt, ce gars sera brisé par de gros ennuis.

– Oui, mais j’espère qu’il les aura avant qu’il n’ait trouvé le moyen de me briser, moi.


*

Jessie voyait que Ryan essayait de ne pas remuer le couteau dans la plaie.

– Avez-vous passé une bonne journée ? demanda-t-il à Jessie et à Hannah tout en lavant les brocolis pour le dîner et en évitant manifestement de parler de l’affaire.

Hannah préparait une marinade pour l’agneau pendant que Jessie cherchait la poêle.

Il était clair que Ryan espérait que, en évitant de parler de sa propre journée, il ne la rendrait pas jalouse parce qu’il enquêtait sur des meurtres alors qu’elle était coincée dans l’appartement. Elle pensa que c’était gentil de sa part, mais qu’il apprendrait bientôt que c’était en pure perte.

– Il ne me reste que deux semaines d’école, dit joyeusement Hannah. Après, ce sera les vacances d’été. Je suis impatiente.

– C’est génial, répondit Ryan.

– N’oublie pas que tu as des cours de vacances, lui rappela Jessie, détestant de s’entendre parler comme une maîtresse d’école.

– Je sais, dit Hannah sur un ton sarcastique, mais c’est une école « normale », pas le lycée thérapeutique pour les élèves qui souffrent de « problèmes émotionnels et psychologiques extrêmes ». En outre, ça ne commence que dans un mois. Ne me déprime pas, je n’en ai pas besoin.

– Désolée, dit Jessie.

– Et toi ? demanda Ryan à Jessie, changeant vite de sujet.

– Ma journée aurait pu être meilleure, admit-elle. Dolan m’a dit qu’ils ne peuvent pas coincer Kyle parce qu’ils n’ont rien sur lui. Il s’est comporté en garçon de chœur depuis qu’il est sorti. Ils envisagent de mettre fin à la surveillance.

– Ça craint.

– C’est sûr, acquiesça-t-elle. Ça craint presque autant que quand mon ami et mentor professionnel refuse de me donner des détails sur l’affaire sur laquelle il travaille parce qu’il craint que je ne me mette à saliver devant lui.

– Holà.

– Comment ça, holà ? demanda-t-elle.

– Holà, Garland m’a averti que tu pourrais insister lourdement pour que je te communique des informations parce qu’il ne voulait pas t’en donner beaucoup.

– Oh, vraiment ? insista-t-elle. Est-ce qu’il t’a expliqué comment il fallait me gérer ?

– Il m’a dit de rester fort et de ne pas céder à tes interrogatoires cinglants.

Jessie sourit d’un air malveillant.

– Comment penses-tu que ça va se passer pour toi ?

– Je suis certain que je tiendrai bon, dit-il en allant vers leur chambre. Cela dit, d’abord, je vais prendre une douche.

– Tu sais que, quand on tente de gagner du temps, ça ne fonctionne que temporairement ? cria-t-elle avant qu’il ne disparaisse sans répondre.

Jessie regarda fixement la porte en se demandant si elle pourrait la rГ©duire en cendres de son simple regard.

– Euh, marmonna Hannah avec hésitation, je déteste en rajouter alors que tu en as déjà bien assez, mais l’agneau que j’allais griller a une drôle d’odeur. Je pense que nous allons devoir le jeter, ce qui signifie que nous n’avons plus rien pour dîner.

Jessie sentit ses épaules s’effondrer involontairement. Cette journée se terminait aussi mal qu’elle avait commencé.

– J’ai la solution, dit-elle finalement.

– Je t’en supplie, ne me dis pas que tu vas essayer de préparer quelque chose ! s’exclama Hannah, qui avait l’air sincèrement inquiète.

– Tu sais, pendant des années, j’ai réussi à préparer le dîner presque tous les soirs avant que tu ne commences à habiter ici. Aie un peu confiance.

– Presque tous les soirs ? répéta Hannah.

– Il y avait des soirs où je n’avais pas faim, dit Jessie, sur la défense.

– Bien, dit Hannah, sceptique. Tu vas commander des pizzas, n’est-ce pas ?

Jessie se sentit un peu honteuse quand elle prononça les mots.

– Oui. Je vais commander des pizzas.




CHAPITRE SEPT


Quand Garland eut passé la colline, le soleil s’était déjà couché.

Effectuant le trajet maintenant familier jusqu’à Manhattan Beach, il vit encore l’océan où les vagues s’écrasaient près de la plage, mais il n’avait pas vraiment autant de majesté que la veille au soir, quand le crépuscule naissait tout juste.

Il se dit que ce n’était pas important, qu’il était revenu ici pour la deuxième soirée d’affilée à cause de l’enquête, pas pour la vue, mais il n’en était pas entièrement convaincu lui-même. Oui, dans la scène de crime, quelque chose le taraudait mais, en vérité, il cherchait aussi une excuse pour marcher dans les rues légèrement venteuses proches des vagues, avec leurs restaurants avec patio et leurs boutiques de dégustation de vin.

Il trouva une place de parking près de la rue principale et sortit de sa voiture. Alors, il marcha dans Highland Avenue pour se rendre au poste de police. En chemin, il sentit ce qu’il pensa être des bouts de côtes qui cuisaient dans un café du coin. Il passa devant un kiosque qui vendait des journaux de Nouvelle-Zélande et d’Inde et se retint de s’arrêter pour les parcourir.

Au lieu de céder à ses envies, il franchit le dernier pâté de maisons et arriva au poste. Alors, il fournit son nom au sergent de service. L’agent Timms de la veille au soir sortit d’un bureau et lui donna la clé de la maison de Charles et Gail Bloom, où Priscilla était morte.

– Je peux vous accompagner, si vous voulez, proposa le jeune agent. Je suis en service de nuit et tout est très calme.

– Merci, répondit Garland, mais j’aime parfois parcourir la scène de crime seul, sans qu’on me détourne l’attention. Je me rends compte que ça m’aide à découvrir des choses qui auraient pu m’échapper avant, mais je promets de vous rendre la clé dans quelques heures.

Quand il eut quitté le poste, Garland parcourut tranquillement le sentier pentu jusqu’au Strand. Il était presque vingt-et-une heures et il n’y avait pas grand monde. On croisait quelques coureurs et quelques gens qui promenaient leur chien pour la dernière fois de la journée. En fait, Garland dut contourner la traînée d’urine d’un chien particulièrement négligé.

Il franchit le dernier demi-pâté de maisons qui le séparait de la maison des Bloom en écoutant les vagues qui s’écrasaient sur la côte et les mouettes qui s’appelaient les unes les autres. Il savait que, quand il entrerait dans cette maison, son cerveau se mettrait à tourner comme un fou et que tous les petits plaisirs qu’il appréciait en ce moment seraient immédiatement oubliés. Il essayait juste de retarder l’inévitable.

Quand il arriva, il se glissa sous le ruban de la police en s’assurant de rester dans les ombres pour que Garth Barton, récemment veuf, ne le voie pas s’il regardait par une fenêtre. Ce n’était pas parce que cet homme avait été innocenté qu’il n’était pas un con. Garland laissait volontiers les gens du coin s’occuper de lui.

Il déverrouilla la porte d’entrée et entra. La maison était sombre, même s’il voyait encore la silhouette en craie où le corps de Priscilla Barton avait été retrouvé. Observant l’endroit, il se remémora la conversation que l’inspecteur Hernandez avait dit avoir eue avec les propriétaires plus tôt dans la journée.

Il était étonné que, même quand on leur avait appris qu’une femme était morte dans leur hall, cela n’ait pas suffi à les faire rentrer plus tôt de vacances. Malheureusement, maintenant qu’ils avaient été éliminés de la liste des suspects avec le mari, Garland était dans l’impasse. C’est pour cela qu’il était revenu : pour changer de perspective.

Il traversa le rez-de-chaussée sans l’examiner avant de monter au premier étage, qui était l’endroit pour lequel il était revenu. Quelque chose l’avait taraudé toute la journée, mais il n’avait réussi à mettre le doigt dessus que lorsqu’il était reparti chez lui en voiture. Quand il s’était rendu compte de ce que c’était, il avait été presque chez lui. Au lieu de rentrer à la maison, il avait repris le chemin du sud pour repartir au manoir des Bloom. En route, il avait appelé la police de Manhattan Beach pour lui dire qu’il voulait à nouveau examiner la scène de crime et on lui avait dit qu’on lui garderait une clé de la maison.

En haut de l’escalier, il alluma sa petite lampe de poche et parcourut le hall jusqu’à la chambre principale. Après avoir pris le temps d’observer la grande chambre avec le lit baldaquin, il approcha de ce qu’il supposait être la commode de Gail Bloom. Même s’il avait un peu l’impression d’être un pervers, il se mit ses gants et ouvrit le tiroir du haut, qui, selon lui, devait contenir ses sous-vêtements. Parfois, ce travail poussait à faire des choses inhabituelles.

Il éclaira le tiroir avec sa lampe de poche en bougeant délicatement les sous-vêtements délicats de Mme Bloom. Après une recherche approfondie, il sortit son téléphone pour regarder une fois de plus le bas qui semblait être l’arme utilisée pour assassiner Priscilla Barton. La marque Only the Best, dont il avait appris le nom après quelques recherches en ligne, était très haut de gamme.

Cependant, quand il avait fouillé le tiroir de Gail Bloom, il n’avait trouvé de bas ni de cette marque ni d’une autre marque. Il n’avait pas non plus trouvé de bas solitaire, que ce soit dans le tiroir ou sur le meuble. Il s’était agenouillé pour voir s’il aurait pu tomber sous la commode, mais il n’avait rien trouvé.

Il sortit son bloc-notes et nota brièvement sa conclusion : Mme Bloom ne semblait pas posséder de bas de cette marque. C’était une nouvelle bizarre et potentiellement utile. Si le bas n’était pas le sien, alors, l’assassin ne l’avait pas pris sur place et utilisé comme arme de fortune. Il avait dû l’amener dans la maison.

Mais pourquoiВ ? Qui se promГЁne avec un bas chic et dГ©pareillГ© dans sa pocheВ ?

Ses pensées furent interrompues par le bruit d’une lame de plancher, qu’il entendit craquer derrière lui. Il remit son bloc-notes dans la poche de sa veste et se redressa lentement, alors que ses pensées circulaient à une vitesse folle.

Il entendait une respiration lourde et étouffée à plusieurs mètres et sentait réellement la chaleur corporelle de l’intrus qui était entré dans la pièce. Il serra fort sa petite lampe de poche, comprenant que c’était la seule chose dont il disposait pour se défendre.

Il essaya de se souvenir de la formation qu’il avait reçue au FBI dans sa jeunesse, mais cela remontait à plus de quarante ans. Récemment, ce qu’il avait vécu de plus proche d’une altercation physique, c’était l’année dernière, quand un skateur l’avait renversé accidentellement tout en le dépassant à toute vitesse sur le trottoir.

Finalement, Garland décida tout simplement de laisser l’adrénaline et l’instinct faire leur œuvre. Cela dit, il n’allait pas attendre qu’on l’attaque. Donc, aussi vite que ses os douloureux le lui permirent, il virevolta et pointa la lampe dans la direction de la respiration lourde.

Il vit immédiatement son assaillant, qui portait des vêtements noirs et une cagoule noire. Il tenait aussi une ceinture en cuir dans les mains. Même si son visage n’était pas visible, sa corpulence suggérait que c’était un homme. Garland avança d’un pas vers l’homme, qui leva une main pour bloquer la lumière et bondit en avant. Ils se heurtèrent violemment, mais l’autre homme avait l’avantage de peser plus lourd et il envoya Garland contre la commode. Les lunettes à double foyer de Garland s’envolèrent. Il sentit les bords en bois de la commode lui frapper le dos et grogna.

Il essaya de ne pas tenir compte de sa douleur et de se concentrer sur la silhouette, qui lui fonçait dessus aussi rapidement que la première fois. Quand l’homme bondit en avant, Garland envoya un coup de sa lampe de poche vers le haut et sa lampe frappa un endroit situé juste sous la gauche de la cage thoracique de l’attaquant. L’homme inspira brusquement et se plia en deux, ce qui permit à Garland de le pousser au sol.

Il contourna l’homme et se rua vers la porte de la chambre. Même aussi près, sans ses lunettes, la porte lui paraissait floue. À environ trois pas du hall, il sentit une main lui saisir la cheville droite et tirer dessus. Il perdit l’équilibre et tomba au sol. Alors, il entendit un craquement et sentit une douleur cuisante à la hanche droite. Il poussa un cri malgré tous ses efforts.

Garland essaya d’ignorer sa sensation de brûlure. Il voulait rouler sur lui-même pour ne pas rester dans une position aussi vulnérable, mais son corps ne lui obéissait pas. Alors, il fit la seule chose qui lui vint en tête. Il essaya de quitter la pièce en rampant. La douleur extrême lui fit monter les larmes aux yeux, mais il continua quand même à se traîner par terre. À ce moment, il sentit le poids de l’autre homme qui lui grimpait sur la taille.

Sa détresse physique fut insupportable. Des vagues de douleur partaient de sa hanche, mais ce n’était rien par rapport à l’étreinte paralysante de la peur qu’il sentait envelopper son corps tout entier. Il y avait un homme sur lui, cet homme tenait une ceinture et Garland ne pouvait pas physiquement le repousser.

Il eut une sensation de déjà vu très brève et comprit qu’il traversait le même moment de terreur que tant de victimes avant lui. Alors, décidant qu’il ne serait pas la prochaine, il s’arrêta de se débattre, appuya le front contre le tapis et monta les poings jusqu’à son cou pour le protéger contre tout étranglement.

Un moment plus tard, il sentit la ceinture lui passer au-dessus de la tête et l’homme essayer de la glisser entre son front et le tapis pour la lui passer autour du cou. Le mouvement de traction brusque arracha un peu de la peau de son front quand l’agresseur baissa brusquement la ceinture. Ignorant la douleur, Garland ouvrit ses poings serrés et saisit la ceinture. Ainsi, le dessus de ses mains créa une barrière entre la ceinture et sa gorge.

L’homme qui se tenait sur lui ne sembla pas s’en préoccuper. Il tirait si fort que les articulations des doigts de Garland étaient serrés contre sa pomme d’Adam et qu’il haletait. L’odeur de ses propres gants en latex lui remplissait les narines. Il inspira fortement et essaya de tenir la ceinture à l’écart tout en se demandant quoi faire.

Il regarda désespérément autour de lui. Tout avait l’air indistinct. Pourtant, il devait y avoir quelque chose qu’il puisse saisir à côté ou une manœuvre qu’il puisse tenter. Il devait pouvoir se montrer plus malin que son attaquant. Il avait passé quarante-cinq ans à arrêter des tueurs. Sa carrière ne pouvait pas se terminer comme ça.

Cependant, il n’y avait rien, rien à saisir et il ne pouvait pas crier. Il était coincé. Il allait mourir sur ce tapis dans cette maison, juste à quelques mètres des gens qui attendaient que leur animal de compagnie ait fait ses besoins afin de pouvoir rentrer se coucher. Il était à court d’idées.

Cependant, alors que sa respiration s’alourdissait et que ses pensées perdaient de leur clarté, il se rendit compte que ce n’était pas tout à fait vrai. Même s’il ne survivait pas à cette attaque, il pourrait au moins fournir un indice sur l’identité du meurtrier. L’inspecteur Ryan Hernandez enquêterait sûrement sur sa mort et, dans ce cas, il en discuterait avec Jessie Hunt. Si Garland pouvait fournir un indice quelconque sur celui qui avait fait ça, Jessie pourrait découvrir de qui il s’agissait. Si quelqu’un le pouvait, c’était elle.

Donc, il décida de faire la seule chose qui lui vienne en tête. Il appuya son corps vers le bas, vers le tapis, aussi énergiquement que possible, en s’écartant de l’homme qui était au-dessus de lui. Alors, quand il sentit l’homme tirer de toutes ses forces, il arrêta de se débattre et se laissa tirer vers le haut en rejetant violemment la tête en arrière.

Il avait espéré frapper l’homme au visage pour lui laisser un bleu visible. En fait, il sentit le derrière de son crâne heurter quelque chose de dur, mais de moins saillant. Il entendit un craquement. L’homme poussa un cri aigu et relâcha légèrement son étreinte. Garland supposa qu’il avait frappé l’homme à la clavicule.

Pendant une fraction de seconde, il fut tenté d’essayer de se dégager en se tortillant, mais il savait que ça ne marcherait pas. L’autre homme avait encore l’avantage. Alors, il se mit à profiter du bref répit pour inspirer une nouvelle fois et envoyer un nouveau coup de tête en arrière. Le cri de l’homme lui indiqua qu’il avait à nouveau atteint sa cible.

Cependant, à ce moment-là, l’homme sembla trouver une nouvelle réserve de force et de fureur. Garland sentit la ceinture l’étrangler plus fort qu’avant et constata qu’il ne pouvait plus serrer les poings pour l’attraper. Il sentait le sang couler dans sa carotide parce qu’il avait le derrière de la main appuyé contre la gorge. Un autre coup violent lui écrasa la trachée et il s’entendit pousser un râle faible.

Soudain, il remarqua que sa douleur Г  la hanche, au dos, aux mains et Г  la gorge diminuait. Il se demanda ce qui pouvait en ГЄtre la cause. Alors, avec sa derniГЁre pensГ©e cohГ©rente, il compritВ : il perdait conscience pour ce qui serait la derniГЁre fois.




CHAPITRE HUIT


Jessie se redressa brusquement dans son lit.

La sonnerie du téléphone de Ryan l’avait arrachée à la meilleure nuit de sommeil qu’elle ait connue depuis des semaines. Elle reconnut immédiatement la sonnerie. C’était le capitaine Decker. Elle jeta un coup d’œil à sa pendule de chevet. Il était 2 h 46 du matin. Pour que le capitaine de leur poste appelle à cette heure-là, cela devait être quelque chose de grave.

– Allô ? marmonna Ryan après avoir maladroitement manié le téléphone pendant plusieurs secondes.

Jessie entendit la voix de Decker, mais il parlait plus bas que d’habitude et elle ne pouvait pas distinguer les mots. Cependant, elle remarqua que le corps de Ryan s’était visiblement raidi.

– OK, dit-il silencieusement en allumant la lumière et en se redressant dans le lit.

Decker continua de parler pendant une trentaine de secondes de plus et Ryan l’écouta sans jamais l’interrompre.

– Je le ferai, dit-il finalement avant de raccrocher.

– Que se passe-t-il ? demanda Jessie.

Ryan se leva et descendit du lit. Il se mit son pantalon en tournant le dos Г  Jessie.

– Il y a eu un autre meurtre à Manhattan Beach, dit-il silencieusement, dans la même maison que la dernière fois, en fait. Decker veut que j’y aille maintenant.

Elle trouva qu’il avait la voix bizarre et que cela la déconcertait, mais elle ne comprenait pas de quoi il s’agissait. Il semblait avoir du mal à garder son calme.

– Que se passe-t-il, Ryan ? demanda-t-elle. Tu es bizarre.

Il se tourna vers elle et elle pensa qu’il avait les yeux humides. Il sembla être sur le point de révéler quelque chose mais, quand il changea son expression, Jessie comprit qu’il avait décidé de ne pas répondre.

– Je ne suis pas en forme, ça doit être ça. Je ne m’attendais pas à ce qu’on me réveille au milieu de la nuit pour m’annoncer cette sorte de nouvelle. Ce n’est pas ce que j’espérais.

Elle sentait encore qu’il cachait quelque chose mais décida de ne pas insister.

– Que puis-je faire pour t’aider ?

– Rien, merci. Tu devrais essayer de te rendormir. La meilleure chose que tu puisses faire en ce moment, c’est prendre soin de toi-même.

– OK, dit-elle.

Alors, elle demandaВ :

– Est-ce que Garland va te retrouver là-bas ?

Ryan prit une grosse gorgée de l’eau qui se trouvait sur la table de chevet avant de lui répondre.

– Il est déjà là-bas, dit-il en se levant.

– C’est très impressionnant pour un vieil homme, fit-elle remarquer, incapable de cacher l’étonnement dans sa voix. Ce gars est plein de surprises.

– Il est unique, acquiesça Ryan en se penchant pour l’embrasser sur le front. Essaie de te rendormir. Je te reverrai dans la matinée.

– Je t’aime, dit Jessie en se rallongeant.

– Je t’aime, moi aussi, dit-il doucement avant d’éteindre la lumière de la lampe de chevet et de s’en aller.

En dépit du conseil de Ryan, Jessie n’arriva pas à retrouver le sommeil. Pendant les vingt minutes qui suivirent, elle se retourna dans tous les sens mais n’arriva pas à se détendre. Un détail de l’attitude de Ryan quand il avait reçu l’appel l’obsédait.

Quand il avait écouté Decker parler, Ryan avait eu une expression que Jessie n’avait presque jamais vue sur son visage. Ce n’était pas un simple choc ou de la tristesse. C’était un mélange qui semblait plus fort et plus profond. Alors, elle se souvint. L’espace d’un instant, avant qu’il ait réussi à se ressaisir, il avait eu l’air anéanti.

Elle se redressa. Jamais elle ne pourrait se rendormir, maintenant. Elle alla à la salle de bains et s’éclaboussa de l’eau sur le visage. Quand elle se contempla dans le miroir, elle fut satisfaite de constater qu’elle n’avait pas les yeux cerclés de rouge par l’épuisement. Bien sûr, cela changerait vite si elle commençait sa journée maintenant, ce qui semblait être le cas.

Elle retourna au lit et se rassit. Elle pensait constamment à l’expression qui était apparue sur le visage de Ryan quand Decker avait commencé à lui parler. Quoi que le capitaine lui ait dit, quelque chose allait terriblement mal.

Elle saisit son téléphone pour appeler Garland puis changea d’avis. Ryan avait dit qu’il était déjà à la scène de crime. Cela signifiait qu’il était probablement très occupé et qu’il ne serait pas d’humeur à répondre à ses questions. Au lieu d’appeler Garland, elle téléphona au sergent de service du Poste Central, qui lui donna l’adresse de Manhattan Beach.

Sans jamais vraiment s’avouer ce qu’elle faisait, elle commença à s’habiller. Cinq minutes plus tard, elle était prête à partir. Elle gribouilla un message rapide pour Hannah, qu’elle glissa sous la porte de la jeune fille. Alors, elle quitta l’appartement en s’assurant de rallumer tous les systèmes de sécurité à distance et elle se rendit à sa voiture.

Elle savait que Ryan et Garland seraient en colère quand elle viendrait s’imposer à la scène de crime, mais elle n’en avait que faire. Il y avait un problème. Elle le sentait dans ses os.


*

MГЄme si elle se perdit un peu, Jessie arriva rapidement Г  la plage.

Pendant l’heure de pointe, le trajet aurait pris beaucoup plus d’une heure mais, à 3 h 30 du matin, il lui avait pris moins d’une demi-heure, même après avoir dû faire demi-tour parce qu’elle avait raté la sortie de l’autoroute. Les rues étaient silencieuses pour la plupart. Quand elle approcha de la côte, une épaisse nappe de brouillard s’installa, donnant à chaque lampadaire l’apparence d’une lanterne sans éclat dans un phare isolé. Le début de matinée en avait l’air sinistre et désolé.

Quand elle arriva, elle se gara dans Manhattan Avenue, juste à l’ouest de la jetée et à environ un pâté de maisons de l’endroit signalé par son GPS. Elle descendit vivement le Strand. Même si elle ne pouvait pas voir l’océan à cette heure-là, elle entendait les vagues s’écraser sur la plage et savait qu’elle était proche.

Elle n’eut pas grand mal à trouver sa destination. Quand elle fut sur le Strand, même avec le brouillard, elle constata que le ciel nocturne était éclairé par plusieurs véhicules d’urgence. En approchant de la maison, elle compta au moins une demi-douzaine de voitures de police, une ambulance et une camionnette de médecin légiste. Tous les alentours du manoir étaient inaccessibles et plusieurs agents montaient la garde pour empêcher les curieux d’approcher trop près.

Elle accosta un agent effrayé assez jeune et lui montra son badge en se disant qu’il serait le plus facile à convaincre.

– Je travaille avec l’inspecteur Hernandez, dit-elle sans donner plus de précisions. Pouvez-vous me dire où il est ?

– Il est à l’étage, dit l’agent.

Même si elle ne l’avait jamais rencontré, Jessie pensa que ce jeune avait l’air étonnamment secoué. Elle regarda son badge nominatif.

– Est-ce que vous allez bien, agent … Timms ?

– Oui, madame, lui assura-t-il en se reprenant. C’est juste que j’avais déjà rencontré la victime. Je l’appréciais et c’est moi qui l’ai découverte.

– Je comprends, dit-elle en lui tapotant doucement l’épaule. Ce n’est jamais facile quand on a une liaison personnelle avec la victime.

– C’est sûr, madame, dit-il en soulevant le ruban de la police pour qu’elle puisse passer dessous.

– Comment se fait-il que vous ayez trouvé la victime dans la maison si tard dans la nuit ?

Elle se rendit compte que cette question avait l’air accusatrice, alors que cela n’avait pas été son intention.

– Il était supposé me rendre la clé au bout de quelques heures. Quand il n’est pas revenu, je suis allé voir ce qu’il faisait et …

Il s’interrompit, bouleversé.

Jessie voulut lui demander pourquoi quelqu’un devait rendre une clé à la police si tard dans la nuit mais, comme elle voyait que ce jeune n’était pas en état de répondre, elle y renonça.

– Merci pour votre aide, agent Timms, dit-elle.

Ne trouvant rien d’autre à lui dire pour le réconforter, elle se détourna et monta dans la maison.

Elle montra à nouveau son badge à l’agent qui montait la garde devant la porte. Il s’écarta pour la laisser passer. Elle jeta un coup d’œil au sol du hall et y vit un tracé à la craie qui, supposa-t-elle, devait correspondre à la première victime. Elle jeta un coup d’œil vers l’étage supérieur, où elle entendit plusieurs voix. L’une d’elles lui rappela celle de Ryan.

Elle commença à aller vers l’escalier. Alors, un autre agent qui se tenait en bas et qui semblait être un sergent leva une main. Contrairement à l’agent Timms, il avait l’air plus âgé et plus expérimenté.

– Puis-je vous aider, madame ? demanda-t-il poliment mais avec autorité.

– Je travaille avec l’inspecteur Hernandez, dit-elle en présentant son badge pour la troisième fois.

– Je vais lui dire que vous êtes ici, dit le sergent, dont le badge nominatif indiquait « Breem », sans s’écarter.

– J’entends sa voix, dit-elle avec plus d’irritation qu’elle ne l’aurait voulu. Je peux aller le retrouver moi-même.

– Je suis désolé, madame. L’inspecteur Hernandez a ordonné très clairement que personne ne monte à l’étage sans son autorisation expresse. Il veut que tout soit fait méticuleusement, dans cette affaire-là.

– Il le veut à chaque affaire, répondit énergiquement Jessie. Qu’est-ce que celle-là a de différent ?

Le sergent contempla Jessie d’un air perplexe. Il ouvrit la bouche pour répondre mais, avant qu’il n’ait pu le faire, une voix familière vint du deuxième étage.

– Jessie ? dit Ryan en regardant depuis le palier. Que fais-tu ici ?

Elle leva les yeux vers lui, vit immédiatement qu’il était bouleversé et que ce n’était pas parce qu’elle était venue à l’improviste. Quand elle le regarda fixement, elle sentit que la terreur commençait à se répandre en elle. Elle monta l’escalier à toute vitesse avant que le sergent Breem ne puisse l’en empêcher. Il commença à la suivre, mais elle vit Hernandez secouer la tête.

– Je m’en occupe, sergent, dit-il.

– Que se passe-t-il, Ryan ? demanda-t-elle discrètement quand elle l’eut rejoint en haut de l’escalier.

– Il faut que je te parle en privé dehors, murmura-t-il.

– Non. Que se passe-t-il ? Où est Garland ? demanda-t-elle en le contournant et en regardant dans la chambre.

Elle cligna lentement des yeux en espérant que ce qu’elle voyait sur le sol de la chambre était une illusion mais, quand elle rouvrit les yeux, il était encore là. Entre le médecin légiste et un technicien de scène de crime, Garland Moses était allongé par terre. Il était mort.




CHAPITRE NEUF


Jessie sentit sa poitrine se serrer et se rendit compte qu’elle n’arrivait pas à respirer.

Elle essaya de parler mais seul un sifflement sortit de sa bouche. Elle déglutit avec difficulté en essayant d’humidifier sa gorge soudain sèche. Elle tendit un bras vers la rampe d’escalier et observa Ryan en plissant les yeux et en se demandant si cela pourrait changer les choses d’une façon ou d’une autre.

– Je suis désolé, dit-il en tendant un bras vers elle.

Elle secoua violemment la tête et il s’arrêta.

– Quoi ? demanda-t-elle distraitement, alors qu’elle l’avait entendu tout à fait distinctement.

– Suis-moi, dit-il en lui prenant le bras et en l’emmenant à un balcon au bout du hall.

Il se tourna vers elle et ouvrit la bouche mais ne dit rien. Il referma la bouche, se demandant visiblement comment aborder le sujet. Alors, il rГ©essaya.

– On dirait qu’il est revenu ici hier soir pour vérifier une piste. D’après ce que nous avons trouvé jusque-là, il semble avoir été attaqué dans la chambre principale. Visiblement, ils se sont battus. Il a été assassiné, étranglé jusqu’à la mort.

Jessie sentit que ses pensées lui échappaient et essaya de les contrôler. Une partie de son cerveau posait déjà des questions sur la scène de crime mais, furieuse contre elle-même, elle le fit taire avec vigueur, allant jusqu’à fermer les yeux comme pour activer une sorte d’interrupteur interne.

Garland était mort ; le profileur criminel, qui avait été si légendaire qu’elle avait d’abord craint de lui parler, n’était plus. L’homme qui avait fini par devenir son mentor et plus tard un ami auquel elle avait confié son plus grand secret ne la taquinerait plus jamais, ne la mettrait plus jamais à l’épreuve, ne la soutiendrait plus jamais. Il n’était plus.

Jessie sentit une vague de chagrin la submerger tout en entendant de vraies vagues au loin. C’était comme si l’océan avait été conscient de sa souffrance et avait décidé de lui offrir une bande sonore. Elle se pencha au niveau de la taille et s’ordonna d’inspirer profondément plusieurs fois avant de réessayer de parler.

Quand elle eut finalement la sensation d’avoir repris un peu le contrôle de son corps, elle se redressa. Ryan la contemplait d’un air préoccupé.

– Ça va, dit-elle sans être certaine que ce soit vrai. Décris-moi la scène de crime.

Ryan la regarda fixement comme si elle avait Г©tГ© folle.

– Je ne peux pas, dit-il, incrédule. Tu n’es pas en état d’examiner une scène de crime, en ce moment.

– Et toi, tu l’es ? demanda-t-elle, sentant une colère soudaine et d’une violence inappropriée lui monter dans le ventre. Tu le connaissais, toi aussi.

– Oui, concéda Ryan. Je le connaissais et je l’aimais, mais je n’étais pas aussi proche de lui que toi, loin de là. De plus, pour moi aussi, la nouvelle a été brutale. En fait, j’ai appelé Trembley à l’aide parce que j’avais énormément de mal.

– Est-ce qu’il est là, maintenant ? demanda Jessie.

Alan Trembley était le plus jeune inspecteur de la SSH du Poste Central. En dépit de sa jeunesse, il avait prouvé qu’il était un membre énergique et compétent de l’équipe.

– Oui et il se débrouille très bien. Je vais lui dire de prendre le relais et, comme ça, je pourrai te remmener à la maison.

– Non, protesta-t-elle. Je ne veux pas que tu rates quelque chose d’important en étant absent.

– Jessie, nous contrôlons tout, ici. Nous n’utilisons pas la police de Manhattan Beach pour cette enquête. Les agents qui sont ici avec Trembley viennent de chez nous. L’assistant du médecin légiste et les techniciens de la scène de crime sont les nôtres. Le capitaine Decker a insisté pour que nous utilisions notre personnel et le chef de Manhattan Beach n’a pas protesté. Nous sommes en train de prendre des photos et de tourner des vidéos. Nous faisons tout ce qui peut être fait. Laisse-moi te remmener à la maison. Je demanderai que quelqu’un remmène ta voiture. Fais-moi confiance. Tu ne dois pas rester là.

Par-dessus l’épaule de Ryan, Jessie jeta un coup d’œil à la plage qui s’étendait au loin. Le brouillard commençait à se dissiper. Elle ne pouvait pas encore voir l’eau, mais elle arrivait à distinguer les silhouettes de plusieurs gens qui marchaient sur le sable.

Qui peut bien marcher sur la plage Г  cette heure-lГ В ?

Elle secoua la tГЄte, furieuse contre elle-mГЄme.

Quelle diffГ©rence, en ce momentВ ? Garde la tГЄte sur les Г©paulesВ !

– OK, répondit-elle finalement, mais allons là-bas en premier.

Ryan regarda dans la direction vers laquelle elle Г©tait tournГ©e et hocha la tГЄte.

– Attends juste une minute, dit-il. Je veux d’abord dire à Trembley ce qui se passe.

– Vas-y, dit-elle distraitement. Je te retrouve sur le sable.

Ryan l’emmena en bas de l’escalier puis remonta. Jessie sortit par la porte d’entrée et trouva des marches qui menaient du Strand à la piste cyclable du dessous et, au-delà, à la plage. Elle se déchaussa, tint ses chaussures par les talons du bout des doigts et avança vers l’eau.

Même si c’était le début de l’été, à cette heure-là, le sable était encore frais et bougeait sous ses pieds tout en s’insinuant entre ses orteils. Elle avançait lentement pour garder l’équilibre, utilisant plus ses oreilles que ses yeux. Quand elle se rapprocha du son des vagues, un des vieux postes de sauvetage en bois bleu apparut.

Elle passa devant et remarqua que le sable était maintenant plus dur et plus dense. Quelques pas plus loin, elle sentit l’humidité sous ses pieds, à l’endroit où la marée était montée le plus récemment. À présent, l’eau était visible. Elle regarda les vagues s’écraser les unes contre les autres en créant une écume qui formait des bulles blanches et avançait avec envie vers ses orteils. Elle s’assit juste hors de portée et regarda l’océan.

Au bout d’un moment, elle ne sut pas combien de temps, Ryan arriva et s’assit à côté d’elle. Il ne dit rien et elle non plus. Elle tendit une main et il la prit. Elle se pencha et posa la tête sur son épaule. Elle pensa que les vagues qui venaient mourir sur la plage empêchaient peut-être d’entendre qu’elle pleurait, mais elle n’en était pas sûre et, en fait, ça lui était égal.


*

Il regarda jusqu’au lever du soleil.

D’abord, il eut du mal à cause du brouillard et parce qu’il était à plusieurs pâtés de maisons mais, quand il eut trouvé des jumelles dans le grand placard, il put monter sur le toit-terrasse et surveiller tout ce qui se passait à six pâtés de maisons de distance, sur le Strand, où les événements avaient eu lieu.

Il était étrangement excité par tout ça. Il trouvait satisfaisant que les sirènes aient résonné sur le front de mer les deux dernières nuits à cause de lui. Il ne comprenait pas complètement la situation. La première nuit était logique, mais la réaction de la police au milieu de la nuit dernière paraissait encore plus intense que celle de la nuit d’avant. Quelque chose lui échappait peut-être.

Finalement, quand le soleil se leva sur les collines de l’est, il rentra dans sa demeure temporaire. Il voulait dormir mais, avec toute cette excitation, il avait du mal. Il n’arrêtait pas de repenser à ce qu’il avait fait, à ce qu’il avait pris.

Il n’avait pas voulu tuer cette femme. Après tout, il n’avait fait que s’occuper de ses affaires dans la maison des Bloom, celle qu’ils laissaient toujours pendant plusieurs semaines ininterrompues de l’été. Il n’embêtait personne.

Cependant, il avait fallu que la femme fouineuse d’à côté, avec son corps botoxé et son sourire encore plus artificiel, vienne pointer son nez. Il avait cru qu’elle s’en irait au bout d’un moment, mais elle était entrée dans la maison, avait commis le même délit que lui. Il avait espéré qu’elle s’en irait et qu’elle lui permettrait de poursuivre ses activités, mais non : il avait fallu qu’elle cède à sa curiosité et s’offre une visite de la maison. Si elle n’avait pas fourré son nez partout, elle serait probablement en vie, aujourd’hui.

Cependant, quand elle l’avait vu, il n’avait plus eu le choix. Elle aurait probablement fourni une description de lui à la police et, à présent, il serait dans de beaux draps. Donc, il avait fallu qu’il l’en empêche, qu’il la réduise au silence. Il ne pouvait pas accepter qu’elle le prive du style de vie dont il avait joui, même si c’était seulement temporaire.

Donc, il l’avait étranglée. Au début, quand il l’avait plaquée contre la porte puis qu’il lui avait passé le bas autour du cou, il avait eu une poussée d’adrénaline. Au moment où elle s’était vraiment débattue en agitant les bras, il avait brièvement envisagé d’arrêter. Il aurait peut-être pu se contenter de l’assommer et de s’enfuir, d’aller à un tout autre endroit.

Cependant, à ce moment-là, la vieille fureur avait refait son apparition. Pourquoi aurait-il fallu qu’il se plie aux désirs d’une autre salope pleine aux as ? Il l’avait fait bien assez souvent dans sa vie. Soudain, il lui avait serré le cou encore plus fort en imaginant qu’elle était un des mannequins qui, autrefois, avaient fait tout ce qu’il avait voulu mais le méprisaient maintenant. Il avait regardé le tissu du bas s’enfoncer dans sa chair et l’étouffer et il avait ressenti un frisson presque orgasmique en se rendant compte que la vie de cette femme était littéralement entre ses mains.




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